Les Anciens avaient une conception toute fixiste de la surface de la Terre: océans et continents ont toujours occupé une position fixe durant toute l'histoire de la planète. Depuis Aristote, on croyait que la Terre s'était formée par une série de grandes catastrophes, en un laps de temps très court, et qu'elle avait ainsi acquis la physionomie qu'on lui connaît aujourd'hui. Les océans et les continents avaient été dessinés une fois pour toutes! Qui n'a pas entendu parler des six jours de la Création! Nous appelons cette vision de la formation de la terre par une série de grandes catastrophes, le catastrophisme, une théorie qui, avec une théorie satellite, le créationisme, va dominer les esprits jusqu'au 19e siècle ... et même encore de nos jours!
Bien qu'au 19e siècle, les géologues James Hutton et Charles Lyell ont tenté de montrer qu'en fait les processus géologiques sont beaucoup plus lents que ne le propose le catastrophisme et qu'ils se font de façon beaucoup plus uniforme (théorie de l'uniformitarisme), les hommes de science continuaient à croire ferme à la perennité des mers et des continents.
Mais ..., au 17e siècle, les cartes géographiques de l'Atlantique étaient suffisamment précises pour que les esprits curieux et éveillés à la découverte remarquent un certain parallélisme dans le tracé des côtes de part et d'autre de l'Atlantique et tentent d'en trouver l'explication.
François Placet (1668).
C'est dans un mémoire intitulé "La corruption du grand et du petit monde, où il est montré qu'avant le déluge, l'Amérique n'était point séparée des autres parties du monde", que Placet propose qu'avant le déluge il n'y avait qu'un seul bloc continental et que c'est par effondrement au centre de ce bloc que l'Atlantique a été créé et qu'il en est résulté deux blocs séparés. Il n'en fallait pas plus pour faire revivre la légende de l'Atlantide, ce continent qui, selon le philosophe et poète grec Platon, se serait abîmé dans l'Océan Atlantique au large de Gibraltar. Aujourd'hui encore, on trouve de "savants traités", se présentant comme répondant à la démarche scientifique, venant à la défense de cette légende!
Antonio Snider-Pelligrini (1858).
Deux siècles après Placet, le catastrophisme garde toujours ses droits. Snider-Pelligrini parle de séparation et de dérive dans son livre intitulé "La création et ses mystères dévoilés". Selon lui, les continents se sont formés avant le déluge (l'archétype de la catastrophe!), en un seul bloc, du même côté de la terre, à partir d'un bloc de roche en fusion. Le déluge a mis fin à l'état d'instabilité de ce bloc en le refroidissant. Une gigantesque rupture s'est alors produite, entraînant la séparation des Amériques et du Vieux-Monde.
George Darwin (1879).
Le second fils de Charles Darwin parle lui aussi de mobilité des continents. À une époque très reculée, la lune a été arrachée à la Terre, y laissant la gigantesque cicatrice du Pacifique. Ce grand vide a alors entraîné une fragmentation de la croûte granitique refroidie et un glissement latéral des masses continentales. On peut difficilement être plus catastrophiste!
Frank B. Taylor (1910).
Bien qu'on attribue la paternité du concept de la dérive des continents à Alfred Wegener, Frank Taylor fut le premier, en 1910, 5 ans avant Wegener, à formuler l'hypothèse que l'Atlantique a été formé par la séparation de deux masses continentales qui ont dérivé lentement l'une par rapport à l'autre. Taylor fondait son hypothèse sur la similitude du tracé des côtes de part et d'autre de l'Atlantique, mais aussi sur le fait qu'on retrouve des chaînes de montagnes sur les marges continentales opposées aux marges atlantiques, comme par exemples les Rocheuses en Amérique du Nord et les Andes en Amérique du Sud. Ces chaînes se seraient formées par un effet de "bulldozage" causé par la dérive des continents. Mais la démonstration de Taylor est apparue trop compliquée et n'a pas réussi à convaincre ses contemporains.
Cinq années plus tard, en 1915, Alfred Wegener énonça, sans connaître semble-t-il les travaux de Taylor, l'hypothèse de la dérive des continents.