S'il est une question qui a longtemps embarassé les géologues, c'est bien la formation des grandes chaînes de montagnes, comme les Rocheuses, les Alpes, les Himalayas ou les Appalaches. Tout modèle explicatif de la formation d'une chaîne de montagnes se doit d'expliquer, puis d'intégrer, chacun des principaux attributs qui caractérisent toutes les grandes chaînes.
1) Les roches sédimentaires, c'est-à-dire ces roches qui proviennent de la transformation de sédiments comme les sables et les boues, sont très abondantes dans les chaînes de montagnes et contiennent des fossiles d'organismes marins, ce qui implique que les sédiments dont elles sont dérivées se sont déposés dans un milieu marin; de plus, leur composition montre qu'une grande partie de ces sédiments se sont déposés dans un bassin océanique. Première conclusion: avant de se retrouver dans une chaîne de montagnes, tout le matériel sédimentaire se trouvait dans un océan.
2) Il y a aussi des roches métamorphiques dans les chaînes de montagnes, ces roches qui sont d'anciennes roches sédimentaires ou ignées transformées sous l'effet de températures et de pressions très élevées. Ces roches métamorphiques occupent une portion bien définie de la chaîne de montagnes. Il faut savoir que le lieu dans la croûte terrestre où il existe à la fois des températures et des pressions très élevées, c'est en profondeur, à au moins quelques kilomètres sous la surface. Seconde conclusion: les roches métamorphiques résultent de la transformation des roches sédimentaires et ignées de la chaîne de montagnes, en profondeur, dans la croûte terrestre.
3) Un autre attribut important des chaînes de montagnes, c'est qu'elles contiennent souvent des lambeaux de croûte océanique (basaltes) coincés dans des failles. Troisième conclusion: non seulement, les sédiments qui forment la chaîne de montagnes se sont-ils déposés dans un bassin marin, mais aussi, sur de la croûte océanique basaltique.
4) S'il est une caractéristique commune à toutes les grandes chaînes de montagnes, c'est bien le fait que les roches y sont déformées à des degrés divers. Depuis longtemps, les géologues qui étudiaient la géométrie de la déformation dans les chaînes de montagnes savaient bien qu'il fallait des forces de compression latérales pour produire une telle géométrie. Il leur fallait donc trouver un mécanisme responsable de ces compressions. Il leur fallait aussi trouver un mécanisme responsable du soulèvement de tout ce matériel déposé dans un bassin océanique qui compose la chaîne.
5) Le plus souvent, il y a une zone de roches sédimentaires non déformées qui jouxte la chaîne déformée proprement dite. Ces roches sédimentaires sont de même âge que celles de la chaîne et représentent habituellement d'anciens sédiments déposés sur les plateaux continentaux.
Avant la théorie de la tectonique des plaques, il y avait un superbe débat entre les "horizontalistes" pour qui la formation d'une chaîne de montagnes se faisait sous l'action de forces de compresssion latérales, et les "verticalistes" qui eux évidemment invoquaient de grandes forces verticales. A cette époque le mouvement des plaques était inconnu, ce qui laissait passablement de place à l'imagination!
La théorie de la tectonique des plaques vient réconcilier horizontalistes et verticalistes en proposant un modèle qui tient compte des compressions latérales et du soulèvement d'une énorme masse de matériel et en identifiant le moteur responsable des forces nécessaires à la formation d'une chaîne de montagnes déformée.
Les schémas qui suivent illustrent les grandes étapes de la formation d'une chaîne de montagnes. Partons de ce qu'on appelle une marge continentale passive (c'est-à-dire une marge où il n'y a pas de mouvements tectoniques significatifs, où il y a absence d'une zone de subduction), comme par exemple celle de l'Atlantique actuelle, où s'accumule sur le plateau continental et à la marge du continent un prisme de sédiments provenant de l'érosion du continent.
En s'éloignant de plus en plus de la zone de divergence (non illustrée sur ce schéma), la lithosphère devient de plus en plus dense, simplement parce qu'elle refroidit de plus en plus. Vient un moment où sous la poussée du tapis roulant et l'augmentation de densité, cette lithosphère se fracture et l'une des lèvres s'enfonce sous l'autre, créant une zone de subduction. Le mouvement de translation latérale d'une seule plaque (schéma ci-dessus) se transforme alors en un système de collision entre deux plaques (schéma ci-dessous), une plaque continentale et une plaque océanique. On est passé d'une situation de marge passive à une situation de marge continentale active. Au large du continent, il se forme un arc volcanique insulaire.
Le chevauchement progressif de la plaque océanique sur ce qui reste de plaque océanique du côté continental concentre le matériel qui se trouve sur les fonds océaniques pour former un prisme d'accrétion qui croît à mesure de la fermeture entre l'arc volcanique et le continent. La zone de subduction se transforme en zone d'obduction: la collision entre l'arc volcanique et le continent crée un chevauchement important de tout le matériel du prisme d'accrétion sur la marge continentale. L'activité ignée cesse et de grandes masses de roches ignées (en rouge) peuvent rester coincées dans la lithosphère.
Finalement, la poursuite du mouvement concentre encore plus de matériel et forme une chaîne déformée que l'on qualifie de chaîne de montagnes immature, en ce sens que la dynamique n'est pas terminée. La marge de cette chaîne immature peut se transformer en une nouvelle zone active (subduction), ce qui permet à la collision de se poursuivre et instaure du volcanisme d'arc continental sur la nouvelle chaîne.
Un bel exemple de cette dernière situation est la Cordillère des Andes, reliée à la collision de la plaque océanique de Nazca et la partie continentale de la plaque de l'Amérique du Sud.
Mais la véritable chaîne de montagnes mature est celle qui sera formée par la collision entre deux plaques continentales. Dans cette situation, à mesure que se referme l'étau constitué par le rapprochement des deux plaques, il se construit, comme dans le cas précédent, un prisme d'accrétion qui croît progressivement par la concentration du matériel dans un espace de plus en plus restreint, et la chaîne de montagnes s'érige peu à peu.
Avec la collision des deux plaques et la cessation du mouvement, la chaîne a atteint sa hauteur maximum et acquis ses caractéristiques.
Il y aura une zone de roches non déformées jouxtant les roches déformées de la chaîne, parfois de façon symétrique de part et d'autre de la chaîne. Il y aura aussi des roches métamorphiques très déformées aux racines de la chaîne, car ces dernières se forment sous des températures et des pressions très élevées. On trouvera aussi des lambeaux de croûte océanique basaltique coïncés dans des failles. Dans les Appalaches du Québec par exemple, on a de ces vestiges de croûte océanique dans la région de Thetford Mines. De grandes masses de roches ignées (batholithes et plutons) resteront coincées dans la lithosphère continentale. Un des beaux exemples de chaîne de montagnes formée par la collision entre deux plaques continentales, c'est l'Himalaya qui a été formé par la collision récente, il y a à peine 10 Ma, d'une plaque dont la portion continentale constitue aujourd'hui l'Inde et une grande masse continentale, l'Asie. La chaîne n'est d'ailleurs pas encore réellement stabilisée puisqu'elle se soulève encore.
Ces dernières années, on s'est rendu compte que dans plusieurs chaînes de montagnes, la situation n'est pas aussi simple. Ces chaînes sont souvent composites, c'est à dire qu'elles sont formées d'un collage de plusieurs morceaux qui possèdent chacun leurs caractéristiques propres. Ces morceaux correspondent à des petites masses continentales, des microcontinents, qu'on appelle d'un affreux terme, les terranes, une transposition du terme anglais "terranes".
Prenons comme exemple le cas de la Cordillère de l'Ouest nord-américain qui est formée de plusieurs éléments accolés les uns aux autres. On a nommé ce mécanisme de construction d'une chaîne de montagnes par collages successifs, l'accrétion des terranes. Des microcontinents (terranes) d'origines variées (agglomérats d'îles volcaniques, fragments de plaques continentales) sont transportés par le tapis roulant des fonds océaniques.
Lorsqu'ils arrivent en collision avec une grande plaque continentale, ces terranes sont arrachés à la plaque qui les transporte et collés à la marge de la grande plaque continentale, car leur densité est trop faible pour qu'ils puissent être enfoncés dans l'asthénosphère. Il peut s'accumuler ainsi plusieurs de ces morceaux "exotiques".
On a souvent tendance à considérer que les reliefs de l'Ouest de l'Amérique du Nord correspondent aux Rocheuses. En fait, les Rocheuses ne constituent qu'une chaîne linéaire immature; sa limite géologique orientale est soulignée par la ligne barbelée rouge sur cette carte.
A l'ouest de la chaîne, on retrouve plusieurs entités physiographiques, dont la Sierra Nevada, la Sierra Madre, la chaîne des Cascades, la chaîne côtière, le Grand Bassin, le plateau de Colombia, etc. Sur une carte géologique, on découvre qu'en fait toute cette portion occidentale de la plaque continentale nord-américaine est formée d'un collage de terranes, chacun représenté ici par des couleurs différentes, et qui se sont additionnés depuis 200 Ma (consulter un atlas géographique pour faire la correspondance entre les entités physiographiques énumérées et les terranes de cette carte).
Les grandes chaînes de montagnes se forment donc par convergence de plaques lithosphériques. On retrouve aujourd'hui des chaînes matures à l'intérieur de plaques lithosphériques continentales (exemples: l'Himalaya, les Ourals, les Pyrénées, etc.), et c'est tout à fait normal puisqu'elles sont issues de la soudure de deux plaques continentales. Seul le cadre de la tectonique des plaques peut expliquer cette situation. Ainsi, la théorie de l'expansion de la terre (Carey, 1953) ne peut rendre compte de cette présence intraplaque de chaînes plissées contenant des lambeaux de croûte océanique.
En conclusion ...
Tout ce qui précède tend à démontrer que la théorie de la tectonique des plaques est unificatrice et qu'elle rend compte des grands phénomènes géologiques de la planète. Est-ce à dire que nous avons tout compris? Certainement pas. Nous avons compris le cadre général unificateur, mais il reste encore des inconnues, la principale étant les processus du manteau reliés particulièrement aux cellules de convection qu'on tient pour le moteur de la tectonique des plaques.
http://pubs.usgs.gov/publications/text/unanswered.html#anchor4849447 Deux sujets intéressants ici. Quel est le moteur du movement des plaques tectoniques? La tectonique des plaques sur d'autres planètes?
Retour au plan de la section 1 |