Arthur Holmes (1945).
Holmes, professeur de géologie à l'Université d'Edimbourgh, proposa un modèle prémonitoire au concept moderne de l'étalement des fonds océaniques et de la tectonique des plaques.
Ceci est le schéma original de Holmes. (A) Holmes propose que l'existence de courants de convection dans le manteau, sous un grand bloc continental (comme la Pangée, par exemple), crée dans la croûte continentale des forces de tension. Ces forces de tension vont contribuer à fracturer la croûte continentale, avec, dans les fractures ouvertes, des venues de magma provenant du manteau. (B) La cristallisation de ce magma va créer de la croûte océanique composée de basalte. Toujours sous l'influence de la convection, la nouvelle croûte océanique va elle aussi se fracturer et être infiltrée par le magma. Il va donc se former ainsi continuellement de la nouvelle croûte océanique, un processus qui fera en sorte que les masses continentales vont s'éloigner l'une de l'autre, comme repoussées par cette formation de nouvelle croûte océanique. Pour Holmes, la surface terrestre est un espace fini, ce qui implique que s'il y a tension dans certaines zones, il doit y avoir compression ailleurs, ou encore, s'il y a formation de nouvelle croûte terrestre par endroits, il faut qu'il y ait destruction ailleurs. Cette destruction se fait dans les zones de compression où la croûte s'enfoncera dans le manteau, donnant naissance à des fosses océaniques profondes. Les chaînes de montagnes vont se construire dans ces zones de compression.
Ce modèle est conceptuel, car Holmes n'avait pas les données pour l'appuyer. Sa proposition se heurta à la communauté des géophysiciens, avec, en tête, Sir Harold Jeffreys, scientifique britannique omnipuissant à l'époque. "On avait démontré que l'idée de Wegener était fausse: inutile d'y revenir!" En rétrospective, le modèle de Holmes constituait l'embryon de la théorie de la tectonique des plaques, mais il faudra attendre une bonne vingtaine d'années avant qu'on rassemble les données qui viendront conforter ce modèle.
Warren Carey (1953).
Huit ans après la proposition de Holmes, Carey est sensiblement d'accord avec l'idée des courants de convection et de la formation de nouvelle croûte océanique qui amène la séparation des continents. Mais pour lui, il n'est pas nécessaire de détruire ailleurs de la croûte océanique. Dans sa conception de la dynamique planétaire, la terre est en expansion, elle se dilate. Puisque les continents sont des masses rigides, les océans grandissent à mesure de cette expansion du globe, un peu à la manière d'un ballon qu'on aurait recouvert d'une couche épaisse de peinture qui, une fois séchée, se fendillerait à mesure qu'on gonflerait le ballon et formerait des plaques s'éloignant les unes des autres. On sait que par la suite cette proposition faillira à expliquer un certain nombre de phénomènes importants; elle ne réussira pas le test du modèle.
L'exploration des fonds océaniques.
Cette exploration a véritablement pris son essor durant la seconde grande guerre, pour des raisons stratégiques. Les connaissances acquises de cette exploration constituent un jalon important dans le questionnement qui a mené au développement des idées sur la dynamique des fonds océaniques. Grâce au sonar, on a obtenu une image assez réaliste du relief des fonds océaniques (Atlantique; Pacifique). Ces observations venaient interpeler les scientifiques. A quoi correspondent ces dorsales médio-océaniques? Ces fosses profondes autour du Pacifique? Ces pics sous-marins pouvant s'ériger jusqu'à la surface des mers dans les plaines abyssales? L'analyse des relevés géophysiques et l'études des nombreux échantillons recueillis lors des diverses campagnes de forage ont permis de comprendre et de conforter l'hypothèse de l'étalement des fonds océaniques proposée par Harry Hesse.
Harry Hess (1962).
Hess était professeur de géologie à l'Université de Princeton. Durant la Seconde Guerre mondiale, il servit dans la marine américaine et commanda un vaiseau qui croisait dans le Pacifique-Sud. Parallèlement à des missions d'ordre militaire, il levait la carte bathymétrique, ce qui l'amena à se questionner sur la signification des reliefs comme les dorsales, les fosses et les pics sous-marins. Alliant ses connaissances géologiques et ses observations, il en vint, en 1962, à proposer l'hypothèse du tapis roulant des fonds océaniques (sea floor spreading).
Hesse cherchait à expliquer la topographie des fonds océaniques. Il concevait que le manteau terrestre était affecté par de larges courants de convection (voir Holmes, plus haut) et que les parties ascendantes sont la cause des dorsales médio-océaniques, alors que les parties descendantes se trouvent au niveau des grandes fosses comme au pourtour du Pacifique. Le plancher océanique se forme perpétuellement au niveau des dorsales; il dérive de part et d'autre de ces dernières et vient s'engloutir dans le manteau au niveau des fosses.
Comme son prédécesseur Holmes, Harry Hesse rencontra énormément de scepticisme de la part des géophysiciens.
Les Programmes de forage DSDP et ODP.
Les résultats issus de deux programmes de forages, DSDP (Deep Sea Drilling Project, initié en 1970) et ODP (Ocean Drilling Project, depuis 1979), sont venus appuyer l'idée de l'étalement des fonds océaniques. Tous ces forages ont permis de bien connaître la composition de la croûte et des sédiments qui la recouvrent et d'acquérir un volume important de données sur les âges des roches et des sédiments concernés. Ainsi, on a pu démontrer que l'âge des basaltes du plancher océanique et des sédiments qui les recouvrent sont de plus en plus vieux à mesure qu'on s'éloigne d'une dorsale. Le schéma suivant illustre ces observations.
Prenons comme exemple une carotte de forage provenant d'un site près de la dorsale (Atlantique ou Pacifique, peu importe) et ayant traversé toute la couche sédimentaire jusqu'aux basaltes de la croûte océanique à cet endroit. Supposons qu'on ait obtenu un âge de 5 Ma pour les basaltes; il en sera ainsi pour les sédiments qui se trouvent immédiatement au-dessus des basaltes puisqu'ils se sont déposés immédiatement après la formation des basaltes. Au fur et à mesure qu'on datera les sédiments vers le sommet de la carotte, on obtiendra des âges de plus en plus jeunes, jusqu'à des âges récents. Prenons la carotte d'un deuxième forage situé cette fois un peu plus loin de la dorsale; les basaltes y seront plus vieux, ainsi que les sédiments immédiatement sur les basaltes, par exemple, 50 Ma. L'âge des sédiments s'étalera de 50 Ma à récent. Dans un troisième forage, plus près du continent que de la dorsale, l'âge des basaltes pourrait être de 110 Ma; l'âge des sédiments variera de -110 Ma à récent. Cette répartition des âges de la croûte océanique et des sédiments, de plus en plus vieux en s'éloignant de la dorsale, se vérifie dans les centaines de forage, à la grandeur des océans, et vient appuyer la thèse de l'étalement des fonds océaniques.
Tuzo Wilson.
Wilson, un géophysicien de l'Université de Toronto, fut l'un des seuls à épouser l'hypothèse de Hesse. De plus, il y apporta un argument nouveau: l'âge des îles océaniques croît avec leur distance par rapport à la dorsale. Plus elle sont éloignées de la dorsale, plus elles sont vieilles, la preuve qu'une fois formées sur le plancher océanique elles ont dérivé avec le tapis roulant des fonds océaniques. Wilson était un communicateur extraordinaire et a été un promoteur certain de l'acceptation par la communauté scientifique de la théorie de l'étalement des fonds océaniques.
Vine, Matthews & Morley.
Au début des années 60, Fred Vine et Drummond Matthews de Cambridge, ainsi que Larry Morley de la Commission géologique du Canada (de façon indépendante des deux premiers), ont eu l'idée de faire le rapprochement entre trois choses:
2) les bandes d'anomalies de l'intensité du champ magnétique sur les fonds océaniques (voir aussi le magnétisme terrestre);
3) l'hypothèse de Harry Hess à l'effet que les fonds océaniques s'étalaient de part et d'autre des dorsales.
Ces chercheurs ont proposé que les anomalies de l'intensité magnétique sur les fonds océaniques étaient dues aux inversions de polarité magnétique. S'il y a alternance de bandes normales et inverses, c'est qu'il se génère continuellement de la nouvelle croûte à la dorsale et que le plancher océanique se déplace latéralement sous l'effet d'une convection sous-jacente, à la manière d'un tapis roulant (hypothèse de Hesse). Les sédiments qui recouvrent la croûte océanique sont aussi transportés sur ce tapis roulant. L'hypothèse de Hess reçoit donc sa légitimité avec cette découverte des bandes d'inversion magnétique.
Morgan, MacKenzie & Parker
Aussi importante que soit la contribution des Holmes, Hess, Wilson, Vines, Matthews et Morley, qui en définitive ont bien assis la théorie de l'étalement des fonds océaniques, ceux-ci ne sont pas responsables d'avoir réalisé qu'en fait la lithosphère se divise en un certain nombre de plaques qui bougent les unes par rapport aux autres en glissant sur l'asthénosphère (théorie de la tectonique des plaques). Il est difficile de cerner à qui appartient la paternité de cette idée, mais disons que la première formulation est venue d'un jeune professeur de l'Université Princeton, Jason Morgan, qui a exposé ses idées dans une réunion scientifique de l'American Geophysical Union en 1967. Il y a présenté un exposé clairvoyant montrant que la surface terrestre est divisée en plaques rigides et que les mouvements d'étalement des fonds océaniques mis en évidence par ses prédécesseurs pouvaient être décrits à l'aide des règles mathématiques de la géométrie sur la sphère. Mais son exposé qui a eu lieu à l'heure du lunch est passé plutôt inaperçu et il a fallu presqu'une année avant qu'une version publiée de sa théorie ne paraisse. Entretemps, les chercheurs anglais Dan McKenzie et Robert Parker, ignorant la proposition de Morgan, publièrent, dans la prestigieuse revue Nature, une théorie pratiquement identique, mais fondée sur des arguments tout à fait différents, principalement d'ordre séismologique.
Il semble donc que cette idée de la tectonique des plaques ait germé dans des cerveaux différents, à peu près en même temps, et de façon indépendante. Ceci est un bon exemple qui montre que lorsqu'une idée scientifique est mûre, sa formulation devient quasi inévitable.