Les oasis des grands fonds: les certitudes d'avant la découverte



Le milieu des années 1970 a vu la découverte, sur les dorsales médio-océaniques, de sources hydrothermales crachant des fluides chauds riches en métaux; ces derniers précipitent sous forme de sulfures massifs, construisant ainsi de grandes cheminées qu'on a baptisées des fumeurs noirs.

Ce n'est qu'au printemps de 1977 qu'on fit une découverte étonnante, la découverte du siècle pour les océanographes biologistes: l'existence par 2500 m de fond d'une vie exhubérante, dans un milieu dépourvu de lumière, sans possibilité de photosynthèse.

Cette découverte venait boulverser une grande certitude à l'effet que la vie était peu prolifique dans les grandes profondeurs océaniques et que fondamentalement elle dépendait de la photosynthèse. La science avait acquis cette certitude au fil des observations faites sur près de trois siècles.

Au début du 18e siècle, les hydrographes avaient sondé les océans au delà de quelques dizaines de mètres pour réaliser qu'il y avait un abaissement de la température et une augmentation de la pression avec la profondeur, avec une diminution progressive de la lumière. On doutait alors que la vie puisse s'étendre aussi loin, dans un milieu si peu accueillant.

Un siècle plus tard (début du 19e siècle), on reconnaît cependant que certains poissons peuvent vivre jusqu'à 1000 m de profondeur, à partir de prises faites par des lignes de pêche étendues en Méditerranée. Dans cette première moitié du 19e siècle, on entreprend les premières études systématiques sur la vie dans les océans. Entre autres, le biologiste Forbes, dans une études autour des Iles Britanniques et dans la Méditerranée, montre que, plus on va en profondeur, plus la faune s'appauvrit, et que, passé les 550 m, elle disparaît. Mais une observation vient tout remettre en question: en 1859, on remonte un cable télégraphique sous-marin qui gisait par 1800 m de fond, encroûté par des coraux ahermatypiques et des mollusques.

Le débat est relancé sur les limites de la vie dans les profondeurs océaniques. Les découvertes s'accumulent: lys de mer (crinoïdes) à 600 m; cachalots capables de plonger jusqu'à 1000 m pour capturer des calmars géants; un poisson capturé par 6000 m de fond. En 1951, un navire danois réussit à traîner un chalut dans la fosse des Mariannes, sur des fonds se situant entre 9820 et 10210 m et rapportent quelques invertébrés (actinies, holothuries).

Il n'y aurait donc pas de limites à la vie dans les océans. Puis, on a vite réalisé que ce qui limitait cette vie, ce n'était pas la température ou la pression, mais la disponibilité de la nourriture. On concevait donc que des organismes puissent vivre à de grandes profondeurs, loin de la production primaire dépendante de la photosynthèse, en autant qu'une nourriture venant d'en-haut leur parvienne en quantité suffisante.

De là cette certitude, avant la découverte de 1977, qu'il y a effectivement de la vie dans les grandes profondeurs océaniques, mais que: