La Terre boule de neige

Il y a 610 Ma: une Terre « boule de neige » ?


Cette glaciation Varanger nous est connue grâce à la présence de tillite (un type de dépôt glaciaire) sur des continents qui à l’époque se seraient situés plutôt près de l’équateur. Une anomalie dans la géochimie isotopique du carbone indique qu’il y aurait eu à cette époque une diminution drastique de la productivité organique océanique reliée à une coupure au niveau de la photosynthèse.

Le scénario catastrophique invoqué serait le suivant. Les températures auraient été aussi basses que -50°C. Tous les continents auraient été couverts de glace, ainsi qu’une grande partie des océans jusqu’à des profondeurs atteignant plusieurs centaines de mètres. Les calottes glaciaires se seraient étendues pratiquement jusqu’à l’équateur. Il y aurait eu une coupure significative de la photosynthèse entraînant un arrêt de la productivité primaire pendant plusieurs millions d’années et une baisse significative de l’O2 atmosphérique. Les aires de vie auraient été réduites de façon très importante. En fait, le seul refuge possible pour la Vie aurait été le fond des océans. La glaciation aurait causé un arrêt de l’érosion par les eaux de ruissellement. Avec le temps, le dégazage des volcans aurait progressivement créé un renversement de situation. Le CO2 des volcans se serait accumulé dans l’atmosphère, créant un effet de serre et une augmentation des températures suffisants pour fondre les glaces. Ce réchauffement soudain aurait entraîné ces volumineux dépôts de calcaires (CaCO3) qu’on observe généralement recouvrant les dépôts glaciaires du Varanger.

Certains proposent que cette période de grand stress écologique aurait eu une influence sur l’explosion de la diversité et l’apparition de la Vie métazoaire qui s'est faite immédiatement après la glaciation. Durant la période glaciaire, les mutations auraient été favorisées à cause entre autres des isolements géographiques et de la sélection naturelle. C’est en effet immédiatement après cette glaciation qu’est apparue la faune d’Ediacara et les premiers métazoaires (voir L’explosion de la diversité).

Ce modèle de la terre boule de neige ne fait pas l’unanimité. Il n’y a qu’à consulter par exemple les numéros des deux dernières années (2000-2001) des périodiques Science et Nature pour s’en convaincre. Il ne semble pas faire de doute qu’il y a eu à cette époque une glaciation affectant des masses continentales qui, semble-t-il, se trouvaient tout près de l’équateur, même si certains, peu nombreux, mettent en doute la reconstruction paléogéographique de l’époque. En fait, c’est particulièrement sur l’intensité de la glaciation que portent les doutes, une glaciation qui aurait transformé la planète entière en boule de glace, contrairement aux autres glaciations qui se contentent de recouvrir de glace seulement les pôles.

Comment expliquer une glaciation à l’équateur? Certains ont proposé un changement dans l’obliquité de la Terre (angle entre l’axe de rotation de la Terre et la perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre autour du soleil). C’est cette obliquité qui est responsable de nos changements de saisons. C’est aussi ce qui détermine quelle partie de la Planète est froide et quelle partie est chaude. Aujourd’hui, l’obliquité de la Terre est de 23,5°; les pôles sont les zones les plus froides et l’équateur les plus chaudes. Mais si l’obliquité dépassait les 54°, la situation serait renversée: les pôles deviendraient chauds et les zones équatoriales froides. Est-il sensé de penser que cette situation ait pu exister il y a 610 Ma?

Il faudrait démontrer alors que les traces de glaciations (dépôts) de cet âge ne se retrouvent que sur les masses continentales équatoriales. Un inventaire récent des dépôts glaciaires Néoprotérozoïque (période de -1000 à -544 Ma) et de leur contraintes d’âge (Evans, 2000, Am. Jour. Science, v. 300) a montré que, malgré des incertitudes sur les contraintes paléomagnétiques, les dépôts se retrouvant aux basses latitudes (se rapprochant de l’équateur) sont plus communs que ce à quoi on aurait pu s’attendre et qu’aucun dépôt se situant aux hautes latitudes (au-dessus de 60°) n’a pu être documenté sérieusement. Ceci semble donc aller dans le sens de cette hypothèse d’une obliquité élevée durant cette période de près de 500 Ma, impliquant que les glaces ne recouvraient pas les zones polaires et que les aires habitables étaient plus vastes que ne le propose le modèle de la terre boule de neige. Notons cependant qu’une absence de dépôt ne signifie pas nécessairement l’absence de glace.

Une autre objection apportée est que la rétroaction de l’albédo (réflexion du rayonnement solaire) des glaces aurait été si forte que l’océan aurait gelé sur toute sa profondeur, ce qui aurait tuer toute vie sur terre.

Quoiqu’il en soit, cette hypothèse de la terre boule de neige, utilisant des observations et des données concrètes, a eu et continue d’avoir pour conséquence d’initier une recherche fructueuse qui permet de mieux comprendre le système Terre. C’est un bel exemple d’hypothèse créatrice de science.