Un mécanisme de transport et de sédimentation très important qui agit aux marges continentales, dans les canyons sous-marins, sur les deltas des grandes profondeurs ou sur le talus continental, est le courant de turbidité qui, d'un point de vue géologique, présente une fréquence élevée. L'exemple du courant de turbidité qui a eu lieu le 18 novembre 1929 à la marge des Grands Bancs de Terreneuve est un bon exemple qui permet de mieux comprendre ce mécanisme de transport des matériaux. La vitesse et la progression de ce courant de turbidité ont été particulièrement bien documentées grâce à la rupture des cables télégraphiques sous-marins qui reposaient sur le fond. Un séisme dont l'épicentre se situait sur le talus continental au sud de Terreneuve a causé un gigantesque glissement de terrain qui a mis en suspension des tonnes de sédiments formant un courant dense (turbidité) qui s'est écoulé sur leS fond marin et s'est étalé sur une distance de plus de 800 km sur la plaine abyssale de Sohm.
Tous les cables sous-marins dans le secteur du séisme ont été brisés instantanément. Les autres cables, plus distants, ont été coupés à mesure qu'ils étaient fauchés par le courant de turbidité. La progression du courant est indiquée par l'heure à laquelle chaque cable a été brisé (pour le besoin de la démonstration, le temps 00h00 sur le schéma correspond au déclenchement du courant).
La vitesse maximum du courant a été évaluée à 95 km/h. Environ 100 km3 de sédiments furent transportés et épandus sur une surface de 100 000 km2 en une seule couche de quelques centimètres d'épaisseur. Une telle couche s'appelle une turbidite. La répétition de tels événements durant la vie d'une marge continentale (plusieurs millions d'années) construit d'épaisses séquences sédimentaires contenant des milliers de turbidites.
Un tel mécanisme de sédimentation par courants de turbidité peut paraître, à l'échelle humaine, plutôt exceptionnel et peu significatif. Pourtant, il constitue un mécanisme très important qui a construit d'épaisses séquences sédimentaires anciennes.
Faisons un petit calcul simple pour nous en convaincre. Supposons que dans une région donnée, il ne se déclenche un courant de turbidité qu'à chaque siècle seulement et que chaque courant de turbidité dépose une couche (une turbidite) de 3 centimètres d'épaisseur en moyenne. Sur une période de 1 million d'années (Ma), il se sera déposé 300 mètres de sédiments. Une marge continentale passive peut fonctionner pendant plusieurs millions d'années; par exemple, celle de l'Est de l'Amérique fonctionne depuis près de 170 Ma. On évalue que la marge passive de l'Océan Iapétus, soit cet océan dans lequel se sont déposés les sédiments qui forment aujourd'hui les Appalaches, a fonctionnée pendant au moins 100 Ma. Au rythme postulé, il se serait déposé 30 000 mètres (30 kilomètres) de sédiments durant cette période de 100 Ma.
Evidemment, ce calcul est simpliste: la fréquence et l'épaisseur des turbidites peuvent être très variables; les phénomènes de compaction des sédiments ne sont pas pris en compte, pas plus que la quantité des sédiments qui se déposent par suspension entre les coulées de turbidites. Il concrétise néanmoins l'ampleur du phénomène à l'échelle géologique. Il n'est donc pas surprenant de constater que les sédiments de la marge de l'Océan Iapétus qui forment aujourd'hui les séquences rocheuses d'une grande partie de la rive du Bas St-Laurent-Gaspésie, de Québec à Cap-des-Rosiers, sont constitués d'épaisses séquences à turbidites qui se mesurent en plusieurs milliers de mètres d'épaisseur.
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