Les leçons de la paléontologie



L'évolution de la vie à travers les temps géologiques est généralement perçue comme un processus linéaire, une longue marche vers le progrès, réglée par la sélection naturelle seulement. L'iconographie habituelle la représente le plus souvent comme un cône de diversité croissante, un arbre avec de plus en plus de branches, même si à l'occasion certaines d'entre elles se sont éteintes (traits rouges).

La paléontologie nous enseigne que cette conception ne correspond pas à la réalité.

La croissance de la biodiversité?

La biodiversité actuelle est très grande au niveau du nombre des espèces à l'intérieur d'un groupe donné. Mais l'explosion du Cambrien a montré qu'au niveau des plans de vie, représentrés par divers embranchements, la biodiversité fut plus grande, à cette époque, qu'elle ne l'a jamais été. Par exemple, chez les arthropodes, un groupe aujourd'hui très diversifié qui va du homard au maringouin, seuls quatre plans de base ont survécu sur 24 essais au Cambrien (faune de Burgess).

L'analogie suivante permet de mieux saisir ces différences de diversité. Dans le monde des moyens de transports, il y a peu de plan de base: la bicyclette, l'automobile, le train, l'avion, une diversité relativement faible; mais il y a une diversité élevée, soit une infinité de variantes à l'intérieur de chacun. L'automobile n'a pas changé de plan de base depuis son invention par Henry Ford, mais ô combien de modèles par la suite!

Rapidement, après la longue vie solitaire des bactéries et des algues, les plans de base ont été établis, plus qu'il n'en fallait même. Il serait plus juste de parler des broussailles de la diversité plutôt que de l'arbre de la diversité croissante.

Les extinctions de masse: moteur de l'évolution

S'il est certain que la sélection naturelle est un processus qui agit sur l'évolution, elle ne saurait être seule. Si elle était le seul processus à régler l'évolution, cette dernière serait prédictible. C'est ainsi que certains voient dans l'évolution une finalité, sa réussite: l'espèce humaine. Mais, on ne peut nier que des événements fortuits, imprédictibles, aléatoires, non contrôlés par la dynamique biologique, sont venus modifier le cours de l'évolution en effaçant de la planète des groupes entiers et forcant à une réorganisation.

Les grandes catastrophes n'ont pas réussi à éteindre complètement la vie sur terre, mais à chaque fois, un très petit nombre d'espèces ou de genres dans les principaux embranchements a réussi à passer à travers pour se diversifier à nouveau. La conséquence la plus directe d'une extinction de masse – ce qui offre énormement d'intérêt pour le paléontologue de l'évolution – est l'apparition d'une flore et d'une faune de récupération qui donnent lieux assez rapidement à des assemblages nouveaux, à une réorganisation de la vie. Fait intéressant à noter: les recherches les plus récentes semblent indiquer que la communauté la plus rapide à coloniser les espaces nouveaux est la communauté des bactéries qui précède les communautés à métazoaires, comme si on refaisait l'histoire du Précambrien-Cambrien à chaque fois.

Le hasard et l'évolution

Il faut se rendre à l'évidence qu'on se doit de faire une bonne place au hasard dans l'évolution de la vie. C'est le hasard qui a fait que Pikaia, un pauvre petit chordé, le premier, qui se trouvait dans la faune de Burgess, a échappé à la disparition de plusieurs grands groupes au milieu du Cambrien. C'est le hasard qui a fait que les gros dinosaures ont été terrassés par une chute d'astéroïde et/ou du volcanisme exceptionnellement intense à la fin du Crétacé, que les petits mammifères ont pu profiter de cette disparition pour se développer et ... que finalement nous sommes là. En somme, il semble bien que ceux qui ont survécu sont ceux qui ont tiré le bon numéro.

Il devient difficile de croire à une finalité de l'évolution. Pour utiliser l'image de Stephen Jay Gould, si on rebobinait la bande enregistreuse de la vie à zéro, et si on la remettait en marche pour un nouvel enregistrement, quelles sont les chances qu'elle nous présente la même histoire? Quasi nulles si on pense aux catastrophes, grandes et petites, qui ont changé le cours de l'évolution. De plus, " la probabilité pour que ce scénario fasse apparaître une créature ressemblant, même de loin, à un être humain est effectivement nulle, et celle de voir émerger un être doté d'une conscience, extrêmement faible" (S.J. Gould, L'éventail du vivant, Seuil, 1997).

L'évolution: une lente marche vers le progrès?

Dans son dernier ouvrage de vulgarisation, Stephen Jay Gould (L'éventail du vivant, Seuil, 1997) apporte des arguments plutôt convainquants à la non existence du progrès dans l'évolution. Pour conclure sur les leçons que nous donne la paléontologie, citons un bref extrait de ce livre. " Je crois que les spécialistes les mieux avertis de la vie ont toujours eu le sentiment que les archives fossiles décevaient l'espoir d'y trouver le réconfort désiré pour la pensée occidentale : un signal clair de l'existence d'un progrès se traduisant par une complexité sans cesse croissante, au cours du temps, de la vie dans son ensemble. Les données immédiates confirment ce sentiment, car, comme dans le passé, la plupart des environnement sont encore aujourd'hui dominés par des formes organiques élémentaires [bactéries]. Face à une telle évidence, les défenseurs du progrès (...) se sont alors désespéremment raccrochés à un autre argument (...). Ils se sont étroitement focalisés sur l'histoire de l'organisme le plus complexe et ont invoqué la complexité sans cesse croissante de cet organisme au fil du temps comme un substitut fallacieux au progrès de la vie dans son ensemble (p. 207).


GOULD, S.J., 1997, L'éventail du vivant - Le mythe du progrès. éditions du Seuil, Paris, 303 p. Le dernier ouvrage de l'auteur qui vient compléter (et non répéter) son précédent bouquin (La vie est belle, 1991, Seuil). Une réflexion sur les notions de diversité et de progrès vues à travers la méthode statistique dont dépend la paléontologie évolutionniste. Le titre dit tout : l'évolution comme une longue marche vers le progrès est un mythe si on considère tout l'éventail du vivant et non une seule de ses composantes. Un "must" pour tous ceux que l'évolution questionne.


Terminons sur une note divertissante. Certains suggèrent que les extinctions ne sont venues interrompre que temporairement des tendances générales établies depuis longtemps vers une augmentation de la complexité des comportements. On sait par exemple que le rapport dimension du cerveau/dimension générale du corps a conduit chez les mammifères à la conscience humaine. On a relevé que cette tendance à l'augmentation de ce rapport avec le temps géologique a existée aussi chez les dinosaures; en fait, les mammifères l'ont poursuivie. Il existait, vers la fin du Crétacé, un petit dinosaure bipède qui possédait des "mains" préhensiles et un gros cerveau (rapport cerveau/corps au-dessus de la moyenne de ses congénères). En extrapolant, sur la base de la courbe de l'augmentation du rapport cerveau/corps des mammifères, on peut dire que s'il n'y avait pas eu d'extinction K-T, une créature dinosaure aurait atteint aujourd'hui (peut-être même avant) le rapport cerveau/corps des humains. Quel beau sujet de film! Allez monsieur Spielberg!


 Retour au plan
section 4