5.2 - Le Précambrien et son histoire


En simplifiant, on peut diviser l'histoire précambrienne du Québec en trois grandes étapes :


L'Archéen

L'Archéen est cet intervalle de temps qui va de -4,03 à -2,5 Ga. Au Québec, les roches archéennes se situent dans une fourchette d'âge qui va de -2,90 à -2,65 Ga. Elles forment deux provinces géologiques, la Province du Supérieur et la Province de Rae.

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Les roches qu'on y trouve appartiennent à trois grands groupes :

Les roches vertes (une traduction du "greenstone" anglais) sont une suite de laves différenciées : roches ultrabasiques-basaltes-andésites-dacites. Leur composition ressemble à la fois aux séquences associées au volcanisme des dorsales médio-océaniques et à la fois à celles associées aux volcanisme de subduction.

Les terrains granito-gneissiques sont formés de roches métamorphiques (gneiss) provenant de la transformation de roches ignées felsiques ou de schistes argileux contenant de grands intrusifs granitiques.

Les roches sédimentaires sont le plus souvent des grès argileux (anciens sables boueux) et des schistes (anciennes argiles).

C'est cette association qui a formé les premiers noyaux continentaux (voir section 4.2.1 - Les Temps précambriens). On considère aujourd'hui que le premier noyau nord-américain a été fragmenté en un certain nombre de blocs, que des océans se sont développés entre ces blocs continentaux durant leur dispersion et que ceux-ci se sont ultérieurement rassemblés à la faveur de zones de subduction. Un tel scénario est attesté par la présence de vestiges de chaînes de montagnes protérozoïques recoupant l'Archéen, comme par exemple l'Orogène du Nouveau Québec (Fosse du Labrador) séparant les deux provinces du Supérieur et de Rae (voir ci-dessous, sous Paléoprotérozoïque).

Une des sous-provinces archéennes du Supérieur est particulièrement importante au Québec à cause de sa richesse en mines : la sous-province d'Abitibi. On se souviendra que l'Archéen a vu se former les premières croûtes océaniques (voir section 4.2.1); l'hydrothermalisme devait y être particulièrement actif sur les planchers océaniques. Les mines de sulfures massifs (cuivre) résultent probablement de ces sources hydrothermales, comme celles qui aujourd'hui déposent des amas de sulfures massifs dans les dorsales océaniques, alors que les mines d'or sont le résultats de la circulation des fluides magmatiques hydrothermaux le long de grandes fractures dans la croûte terrestre (tout abitibien connaît la faille de Cadillac!).

Le Paléoprotérozoïque

Le Paléoprotérozoïque est cette division du Protérozoïque qui s'étend de -2,5 à -1,5 Ga. Au Québec, les roches du Paléoprotérozoïque se situent dans une fourchette d'âges allant de -2,1 à -1,8 Ga et se concentrent dans deux grandes ceintures géologiques, la Fosse de Labrador (aussi appelé Orogène du Nouveau Québec) et la Fosse de l'Ungava.

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Ces deux ceintures constituent des orogènes (chaînes de montagnes) qui se sont formés par la collision de plaques continentales archéennes après que le socle archéen se soit fragmenté, ouvert pour former des océans (avec planchers océaniques basaltiques), puis refermé causant la collision.

La Fosse de l'Ungava n'est qu'un segment d'un orogène plus important, l'Orogène Trans-Hudsonien qui s'étend de la Baie d'Hudson jusqu'au mid-ouest américain (voir carte géologique de l'Amérique du Nord).

L'Orogène du Nouveau-Québec (Fosse du Labrador) est un bon exemple de ces très anciennes chaînes de montagnes qui sont parmi les plus vieilles sur la Planète et qui témoignent que la tectonique des plaques était déjà active au début du Protérozoïque. Les travaux les plus récents sur les roches sédimentaires, volcaniques et métamorphiques, ainsi que sur la géologie structurale dans cet orogène, amènent à conclure que le socle archéen se serait fragmenté et qu'il se serait formé un rift océanique en deux étapes, d'abord entre -2,17 et -2,14 Ga, puis entre -1,88 et -1,87 Ga. La fermeture du rift et la collision subséquente entre deux blocs continentaux (province de Rae et marge nord-est de la province du Supérieur) aurait formé la chaîne de montagnes.

La Fosse du Labrador est reconnue pour ses énormes ressources en minerai de fer qui fut exploité, en particulier, dans la région de Schefferville entre 1954 et 1982.

Le Mésoprotérozoïque

Le Mésoprotérozoïque est cette division du Protérozoïque qui va de -1,5 à -1,0 Ga. Le Mésoprotérozoïque au Québec, c'est la province de Grenville (les géologues québécois disent "le Grenville"). En simplifiant, disons que le Grenville représente ce qui reste d'une haute chaîne de montagnes, une sorte d'Himalaya de l'époque.

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Le Grenville est une ceinture de roches métamorphiques contenant de grands massifs de roches intrusives qui affleure sur une longueur de près de 2000 km (dont les deux tiers au Québec) et une largeur de 300 à 600 km à la marge sud-est du Bouclier canadien. Il va du Labrador jusqu'au sud des Grands Lacs où il plonge sous la couverture paléozoïque; il se poursuit sous le Paléozoïque jusqu'à la fontière U.S.A.-Mexique. C'est la dernière province (chaîne de montagnes) précambrienne à s'être ajoutée au Bouclier.

Le Grenville possède tous les attributs d'une chaîne de montagnes plissée (orogène). Entre autres, on y retrouve les trois divisions fondamentales associées à un orogène : autochtone, parautochtone et allochtone.

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Autochtone : ensemble de roches non déformées par l'orogénie (formation de la chaîne de montagnes), non déplacées tectoniquement, qui jouxte une chaîne de montagnes plissée. A strictement parler, l'autochtone ne fait pas partie de la chaîne de montagnes.

Dans le cas du Grenville, l'autochtone est constitué des roches archéennes des provinces du Supérieur et de Rae, ainsi que des roches paléoprotérozoïques de la Fosse du Labrador. C'est le bloc continental stable à la marge duquel s'est formée la chaîne de montagnes.

Parautochtone (litt.: para-autochtone) : sorte de zone tampon entre l'autochtone non déformé et l'allochtone déformé et transporté tectoniquement. Les roches ont en général la composition des roches de l'autochtone; elles sont déformées principalement par des failles de chevauchement et des plis associés, sur place, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas été transportées tectoniquement, du moins pas de façon significative.

Dans le cas du Grenville, le parautochtone est, comme l'autochtone, constitué des roches archéennes des provinces du Supérieur et de Rae, ainsi que des roches paléoprotérozoïques de la Fosse du Labrador, mais cette fois, elles sont déformées. La limite entre roches déformées et non déformées (parautochtone et allochtone) se nomme le Front de Grenville.

Allochtone : partie principale d'une chaîne plissée. L'ensemble rocheux est constitué des sédiments (transformés en roches sédimentaires) et des faciès ignés (volcaniques et plutoniques) qui se sont formés dans un bassin océanique et qui, dû à la collision entre deux blocs continentaux, ont été plissés, faillés, empilés et transportés tectoniquement sur les zones parautochtone et autochtone, parfois sur de très grandes distances qui peuvent se calculer en centaines de kilomètres. L'empilement des faciès rocheux qui se produit sur quelques dizaines de kilomètres d'épaisseur fait en sorte que les roches sédimentaires et ignées sont soumises à des pressions et températures très élevées, transformant ces roches en roches métamorphiques. Ces dernières deviennent donc caractéristiques de ce qu'on peut appeler les racines de la chaîne de montagnes.

Dans le cas du Grenville, les roches de l'allochtone sont des roches métamorphiques qu'on estime s'être formées à au moins une vingtaine de kilomètres sous la surface; des roches donc qui se trouvaient aux racines d'une très haute chaîne de montagnes qu'on estime avoir été aussi haute que l'Himalaya actuel et qui depuis a été passablement érodée (correspondant en gros à nos Laurentides). Le transport tectonique se fait de façon importante le long d'une grande zone de décollement qui marque la limite entre allochtone et parautochtone. Dans le Grenville, cette zone s'appelle la zone de charriage de l'Allochtone (en anglais ABT: Allochthone Boundary Thrust). Outre les roches métamorphiques, le Grenville se caractérise par la présence de très grands massifs de roches intrusives, dont un type particulier, l'anorthosite : une roche noire à grands cristaux composée presque entièrement de feldspath. C'est le fameux granite noir du Québec.

Les roches de l'allochtone ont des âges qui vont de -1,6 à -1,0 Ga. On considère que l'orogenèse grenvillienne, c'est-à-dire la formation de la chaîne proprement dite, a eu lieu autour des -1,0 Ga.

La province de Grenville est surtout reconnue pour ses minéraux industriels, ses pierres architecturales (le granite noir) et ses minerais de fer et titane. Le Québec est l'un des principaux producteur d'oxyde de titanium au monde, un oxyde extrait du minerai de fer et titane (FeTiO3) provenant de l'anorthosite, grâce à l'énorme gisement de Lac Tio situé dans l'anorthosite du Lac Allard, au nord de Havre Saint-Pierre sur la Côte-Nord. [Ce qui a inspiré à Gilles Vigneault sa chanson "Fer et Titane"]. On connaît des gisements de fer, dans le parautochtone; en fait, il s'agit de gisements de fer qui se trouvent dans les roches de la Fosse du Labrador qui ont été recyclées par l'orogenèse grenvillienne. On pense, par exemple, au gisement de Fermont.

On ne retrouve pratiquement pas de roches du Néoprotérozoïque (intervalle de temps entre -1 Ga et 544 Ma) au Québec, si ce n'est quelques dykes et petits intrusifs dans les régions de Charlevoix, de la Côte-Nord et des Cantons de l'Est qui ont fourni des âges allant de -768 à -554 Ma. Ces intrusions témoignent du début de l'ouverture de l'Océan Iapétus à la toute fin du Précambrien (voir section suivante 5.3)


L'histoire précambrienne du Québec se termine donc avec cette orogenèse grenvillienne autour de -1 Ga (=1000 Ma). On se souviendra qu'à la toute fin du Précambrien, les masses continentales avaient été toutes rassemblées (voir section 4.2.1 - Les Temps précambriens) pour former le grand continent Rodina.

La chaîne de Grenville a été le résultat de la collision entre deux blocs continentaux, le bouclier nord-américain (socle archéen et paléoprotérozoïque) et le bouclier sud-américain.

Le gros des informations pour cette section a été tiré d'un collectif réalisé par les géologues du Ministère des Ressources naturelles du Québec : Hocq, M. (coordonnateur) et Dubé, C. (éditeur), 1994, Géologie du Québec. Les Publications du Québec, 154 p. Vous y trouverez une mine de renseignements sur la géologie du Québec, ainsi que de nombreuses cartes illustrant bien le propos.

L'histoire paléozoïque du Québec commence avec la fragmentation de Rodina et la dispersion de ses pièces. C'est le sujet de la rubrique suivante.


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