On considère que le système solaire s'est formé par la condensation d'un gigantesque nuage de gaz et de poussières et que les planètes, dont la Terre, se sont formées par accrétion de matières il y a 4,55 Ga. La différenciation chimique a amené vers le centre de la terre les éléments lourds, comme le fer et le nickel, et a concentré dans le manteau, puis finalement dans la croûte, des éléments de moins en moins lourds. Cet âge de 4,55 Ga pour la formation de la terre nous est donné par la datation des météorites et non par la datation de roche terrestres.
L'élément stable de la croûte terrestre, c'est la croûte continentale. En effet, on a vu dans la première section de ce cours, qu'à cause de la tectonique des plaques, la croûte océanique est perpétuellement recyclée. Si on fait exception des lambeaux de croûte océanique qui sont coincés dans les chaînes de montagnes anciennes, donc dans de la croûte continentale, les plus vieilles croûtes océaniques datent d'au plus 170 Ma. Ce sont donc les continents qui vont nous fournir les principales archives nécessaires pour faire l'histoire de la terre.
La question de départ se pose ainsi : quand et comment se sont formés les premiers noyaux de croûte continentale?
Quand?
Pour répondre à ce premier volet de la question, tout ce qu'on peut dire, c'est que l'âge des plus vieilles roches terrestres a été établi à 4,03 Ga par datation radiométrique. L'histoire des quelques 550 Ma qui ont précédé l'Archéen, c'est-à-dire entre -4,55 et -4,03 Ga, nous est mal connue puisque nous ne possédons pas de roches représentant ce temps. Nous avons discuté de cette période au point 3.4.7. Ces premières roches datées à 4,03 Ga devaient appartenir à de la croûte continentale puisqu'elles n'ont pas été recyclées dans les zones de subduction comme l'ont été et le sont toujours les planchers océaniques (croûte océanique). Les premiers noyaux de croûte continentale ont donné des âges radiométriques qui s'étendent entre -4,03 et -2,5 Ga, soit correspondant à la période archéenne. Cependant, on a découvert dans des roches légèrement plus jeunes dans l’ouest de l’Australie des zircons, minéral presque indestructible, d’âge se situant entre -4,1 et -4,2 Ga. La présence de ce minéral recyclé dans les roches en question indique qu’il y avait une ou des surfaces continentales il y a 4,1 ou même 4,2 Ga, soit peut-être quelques 200 Ma seulement après la fin de l’accrétion terrestre.
La planisphère qui suit montre la répartition actuelle des premiers noyaux continentaux.
Ces premiers noyaux archéens se retrouvent au coeur des boucliers précambriens (plages vertes sur la planisphère) et occupent une surface bien inférieure à la surface actuelle des continents. Évidemment, c'est là leur répartition actuelle qui n'a rien à voir avec celle du Précambrien.
Comment?
Pour répondre au second volet de notre question, à savoir comment se sont formés les premiers noyaux continentaux, il nous faut examiner la nature des roches qui les composent. On retrouve trois grands ensembles de roches :
Les roches vertes (une traduction de greenstones) forment une suite de laves différenciées, du basalte aux andésites, qui ressemblent à la fois aux volcanites de dorsale et aux volcanites de zones de subduction.
Les terrains granito-gneissiques sont formé de gneiss (roche métamorphique) provenant de transformation de roches ignées felsiques ou de schistes argileux, contenant de grands intrusifs granitiques.
Les roches sédimentaires sont le produit de l'altération et de l'érosion par l'eau ou le vent d'anciens massifs rocheux. La roche sédimentaire la plus ancienne date de 3,8 Ga (datation radiométrique), indiquant l'existence des processus d'altération et d'érosion par l'eau (les premiers océans).
Comment expliquer ces assemblages lithologiques? Nous n'avons pas d'explication définitive. Tout ce qu'on peut constater, ce sont les résultats, les produits qui nous disent qu'il est fort probable que des mécanismes comme ceux qui sont associés à la tectonique des plaques ont joué: fusion partielle du manteau produisant des laves de dorsale et de zone de subduction; métamorphisme dans des zones de subduction pour produire les terrains granito-gneissiques; altération des premières roches formées, érosion et dépôt conduisant aux premières roches sédimentaires, dès 3,8 Ga.
La période archéenne qui couvre en temps, un milliard et demi d'années, demeure la moins bien connue. Tout ce qu'on peut avancer, c'est que les premiers noyaux continentaux étaient en formation et que des océans ont occupé une partie de la surface terrestre à compter de 3,8 Ga. On peut supposer aussi que cette nouvelle croûte terrestre était bombardée d'une pluie de météorites, une pluie beaucoup plus intense qu'aujourd'hui. L'étude de cette période archéenne constitue aujourd'hui un domaine très actif de la recherche en géologie et en géophysique.
Qu'y avait-il avant 4,03 Ga?
On ne le sait vraiment pas, puisque nous n'avons pas de véritables archives géologiques que sont les roches. On peut supposer que la croûte océanique était en formation, mais nous n'en avons pas de vestiges. Il est toujours possible qu'on retrouve un jour des roches plus vieilles que 4,03 Ga et qu'on en apprenne alors plus sur cette période.
La période protérozoïque
Si la période archéenne correspond à la formation des premiers noyaux continentaux à la surface de notre planète, la période suivante, le Protérozoïque, correspond à la croissance des masses continentales. En effet, après l'établissement des premiers noyaux continentaux à l'Archéen, le volume de la croûte continentale a augmenté tout au long du Protérozoïque qui a une durée de près de 2 Ga. Cette croissance du volume des masses continentales est exprimée par la courbe suivante :
On y voit que de - 4,03 à -2,5 Ga, (période archéenne) le volume des noyaux continentaux est demeuré modeste, soit moins de 30% (par rapport au volume actuel des masses continentales) à la fin de l'Archéen. La croissance s'est faite surtout durant le Protérozoïque, entre -2,5 Ga et -544 Ma. À la fin du Protérozoïque, le volume des masses continentales avait, à toutes fins pratiques, atteint celui que nous connaissons aujourd'hui.
Le bouclier précambrien qui forme l'ossature de l'Amérique du Nord est un bon exemple de croissance de la masse continentale de l'Archéen à la fin du Protérozoïque. La carte géologique simplifiée qui suit montre que le bouclier est composé de trois grands ensembles de roches.
Le premier ensemble (vert) est fait des roches les plus vieilles qui ont donné des âges radiométriques se situant entre -4,03 et -2,5 Ga, donc datant de la période archéenne. On y voit par exemple, qu'un bon morceau du Québec est constitué de roches archéennes. La fameuse ceinture de roches vertes de l'Abitibi, riche en mines, fait partie de cet Archéen.
Le second ensemble (jaune) est formé de roches qui ont donné des âges radiométriques se situant entre -2 et -1,6 Ga, donc appartenant au Protérozoïque inférieur. En plusieurs endroits, ce Protérozoïque inférieur recoupe l'Archéen. De deux choses l'une: ou bien l'Archéen nord-américain était formé de plusieurs petits noyaux continentaux et les formations protérozoiques sont venues s'ajouter autour de ces noyaux, ou bien l'Archéen ne formait qu'un seul noyau qui a été fragmenté en microcontinents déplacés par la tectonique des plaques, et les matériaux protérozoiques déposés dans des océans entre les microcontinents; ces derniers se seraient ensuite à nouveau rassemblés, coinçant les matériaux protérozoiques dans un nouveau continent plus grand. Les historiens du Précambrien penchent actuellement vers la seconde hypothèse.
Le dernier morceau qui forme le bouclier est la bande rose, formée de roches qui datent de -1,3 à -1 Ga, soit du Protérozoïque supérieur; on appelle cette bande la province géologique de Grenville. Il s'agit de roches métamorphiques, d'un métamorphisme très élevé, qui représentent les racines d'une haute chaîne de montagne aujourd'hui en grande partie érodée, une chaîne de montagnes qu'on estime avoir été aussi haute que l'Himalaya actuel.
Il y a environ 700 Ma, les masses continentales de la planète étaient suffisamment rassemblées pour qu'on puisse parler d'un mégacontinent, une sorte de Pangée de l'époque. Ce continent a été appelé Rodinia. On a identifié ici un certains nombre de masses continentales qui sont les nôtres aujourd'hui, mais ils faut bien voir que ce ne sont là que des repères; nous savons que le découpage actuel de nos masses continentales n'existe que depuis l'ouverture de l'Atlantique, il n'y a que quelques 170 Ma. Les bandes rouge-orangé indiquent des orogènes (chaînes de montagnes) de même âge que la chaîne de Grenville. AM: Amazonia. AO: Antartica oriental. AUS: Australia. B: Baltica. C: Congo. G: Groenland. I: India. K: Kalaharia. M: Madagascar. S: Siberia.
Signalons ici qu'on retrouve côte-à-côte les blocs continentaux qui aujourd'hui forment le bouclier de l'Amérique du Nord et celui de l'Amérique du Sud. Entre les deux, il y a la chaîne de Grenville, cet Himalaya de la fin du Protérozoïque. Il est probable que cette chaîne soit issue de la collision entre ces deux masses continentales.
En somme, on peut dire que l'histoire des continents au Précambrien, une ère qui couvre près de 3 milliards et demi d'années d'histoire, soit près de 90% du temps géologique, se résume à l'établissement des premiers noyaux à l'Archéen et à leur croissance au Protérozoïque. C'est bien peu connaître en comparaison de tous les événements qu'on a répertoriés pour la période qui va du Cambrien (544 Ma) à nos jours.
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