Cycles biogeochimiques:perspective historique

3.4.7 Les grands cycles biogéochimiques: perspective historique


Dans les sections précédentes (3.4.1 à 3.4.6), on a examiné les grands cycles biogéochimiques surtout tel qu’ils fonctionnent présentement. Notre planète a une histoire de 4,56 Ga (milliards d’années). Ces cycles n’ont pas tous commencé au début de cette histoire, pas plus qu’ils n’ont fonctionné comme ils le font aujourd’hui. Pour bien comprendre comment a évolué le système Terre, il est important d’étudier ces grands cycles biogéochimiques dans la perspective du temps géologique. Nous verrons que cette histoire met en évidence l’intervention prépondérante de la Vie dans ces cycles.

L’Hadéen: de -4,56 à -4,03 Ga

On nomme Hadéen cette période des tous débuts de la Terre dont nous ne possédons aucun vestige rocheux. Les archives de l’histoire géologique de notre planète sont les roches, et puisque la roche la plus vieille connue a été datée à 4,03 Ga, l’histoire géologique documentée dans les roches commence donc à 4,03 Ga, avec la période archéenne (voir 4.1.3 Le calendrier géologique)

C’est durant l’Hadéen que poussières cosmiques, astéroïdes, météorites et planétoïdes se sont entrechoqués et agglomérés pour former la Terre primitive. Les météorites que nous recueillons aujourd’hui nous donnent des indications sur l’âge et la composition primaire de la Planète. La température devait être très élevée, à cause des chocs de collision et de la dégradation radioactive de certains éléments des minéraux (uranium, thorium, potassium) du matériel originel, résultant en un océan de magma. La différenciation par densité de ce matériel en fusion a fait en sorte que le matériel le plus dense (fer, nickel) s’est enfoncé vers le centre sous l’effet de la gravité pour former le noyau, que le matériel un peu moins dense (minéraux ultramafiques) a formé une épaisse couche autour du noyau, le manteau, et que le matériel le plus léger (minéraux mafiques à felsiques) a formé une mince pellicule externe, la croûte. C’est ainsi qu’on a obtenu une terre zonée.

Combien de temps a-t-il fallu pour que se complète cette accrétion et différenciation terrestre? La Terre a commencé à se former il y a 4,56 Ga. Cet âge du début de la formation de la Terre correspond à celui des météorites. D’une taille initiale égale à un planétoïde d’une dizaine de kilomètres, on évalue qu’il a fallu quelques 120 à 150 Ma (millions d’années) pour qu’elle atteigne sa taille actuelle, soit entre -4.41 et -4.45 Ga. Les continents apparurent plus tard, vers la fin de la différenciation. Ils sont les seuls qui gardent la mémoire des premiers temps de l’histoire terrestre, les planchers océaniques étant perpétuellement détruits dans les zones de subduction. Comme mentionné plus haut, l’âge de la plus vieille roche connue est de 4,03 Ga. Cependant, on a découvert dans des roches légèrement plus jeunes dans l’ouest de l’Australie des zircons, minéral presque indestructible, d’âge se situant entre -4,1 et -4,2 Ga. La présence de ce minéral recyclé dans les roches en question indique qu’il y avait une ou des surfaces continentales il y a 4,1 ou même 4,2 Ga, soit peut-être quelques 200 Ma seulement après la fin de l’accrétion terrestre.

Le dégazage de cette Terre primitive a probablement formé une première atmosphère composée d’hydrogène (H), argon (Ar), azote (N), néon (Ne) et hélium (He). Cependant, la faible teneur de la Terre en ces éléments suggère que cet atmosphère a été rapidement perdue, possiblement balayée par les vents solaires. Le dégazage subséquent du manteau à travers les volcans, qui devaient être beaucoup plus nombreux à l’époque, a produit une seconde atmosphère ou prédominaient l’azote (N), le dioxyde de carbone (CO2) et la vapeur d’eau (H2O), avec du dioxyde de soufre (SO2) et peut-être du chlorure d’hydrogène (HCl), de l’ammoniac (NH3) et du méthane (CH4), une atmosphère plus dense que celle d’aujourd’hui. On peut aisément penser que c’était là une planète nettement hostile à la Vie.

Cette Terre primitive s’est progressivement refroidie. L’eau qui ne se trouvait que sous forme de vapeur dans l’atmosphère à cause des températures supérieures à 100°C a commencé à condenser et à tomber en pluie lorsque les températures sont passées sous les 100°C. Les gaz atmosphériques se sont dissouts dans ces gouttes de pluie pour former des acides carbonique (H2CO3), nitrique (HNO3), sulfurique (H2SO4) et chloridrique (HCl), produisant des pluies acides. Ces dernières sont venues altérer chimiquement la toute nouvelle croûte terrestre silicatée. Il en est résulté la formation des premiers sédiments. Ces réactions chimiques ont commencé à changer l’atmosphère, entre autres par le captage du CO2 relié à l’altération chimique, un processus discuté au point 3.4.2.

On ne sait trop si la Vie est apparue dans ce contexte de la fin de l’Hadéen. Les premières preuves de sa présence sur terre remonte à il y a 3,76 Ga, donc à l’Archéen.

L’Archéen: de -4,03 à -2,5 Ga

Astronomes et astro-physiciens considèrent qu’au début de l’Archéen la luminosité du Soleil, et partant l’énergie transmise à la Terre par rayonnement solaire, était de 75% celle d’aujourd’hui. Si la composition de l’atmosphère avait été semblable à celle d’aujourd’hui, la Terre aurait été une boule de glace. La seule façon de résoudre ce dilemme est de considérer que l’atmosphère du début de l’Archéen était plus riche qu’aujourd’hui en gaz à effet de serre, tels la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone CO2, le méthane CH4, l’ammoniac NH3 et/ou l’oxyde nitreux N2O. Pour diverses raisons, les chercheurs dans ce domaine considèrent aujourd’hui que les gaz à effet de serre dominants étaient la vapeur d’eau et le CO2, avec peut-être du méthane. On évalue que la concentration en CO2 était 100 fois plus élevée qu’aujourd’hui et que la température devait se situer autour de 60°C. Il n’y avait pas d’oxygène libre O2 dans l’atmosphère au début de l’Archéen.

Un tournant critique dans l’histoire des températures terrestres est qu’il a fallu que se fasse l’élimination d’une partie de ce CO2 atmosphérique, sinon la Terre serait devenue aussi chaude que Vénus à cause de l’effet de serre causé par ce gaz. Le captage du CO2 s’est fait grâce à la précipitation de calcaires (CaCO3) et du dépôt des matières organiques primitives, le tout progressivement stocké dans les roches sédimentaires (voir au point 3.4.2).

On évalue à quelques 50.106 Gtc le carbone présentement stocké dans les roches sédimentaires. Tout ce carbone a été soustrait au CO2 atmosphérique. Compte tenu des taux d’altération et du transport et dépôt des produits de cette altération (Ca2+, HCO3-, SiO2), on peut calculer qu’il aurait fallu un temps inférieur au milliard d’années (plusieurs centaines de millions d’années tout de même) pour stocker toute cette quantité de carbone. À ce rythme, l’atmosphère aurait été vidée de son CO2 bien avant la fin de l’Archéen (celui-ci a duré 1,5 Ga), et la Terre devenue une boule de glace. Il faut donc qu’une certaine quantité de CO2 ait été retournée à l’atmosphère pour maintenir cet effet de serre si nécessaire au maintien de l’eau liquide à la surface du Globe. Le mécanisme responsable de ce retour de CO2 à l’atmosphère est la tectonique des plaques qui recycle perpétuellement les planchers océaniques dans les zones de subduction où, sous des températures et des pressions élevées, le CaCO3 et le SiO2 stockés dans les sédiments et les roches se métamorphisent en silicates (CaSiO3), une réaction qui dégage du CO2. Les matières organiques, aussi séquestrées dans les roches et sédiments, dégagent aussi du CO2 dans ces conditions. Tout ce CO2 est retourné à l’atmosphère grâce aux volcans. Il s’agit donc là d’un cycle long du carbone qui fonctionne depuis le début de l’Archéen, soit depuis 4 Ga, et qui régule le CO2 atmosphérique.

Il y a donc une relation entre les concentrations en CO2 de l’atmosphère et la tectonique des plaques. Ces concentrations vont varier avec les variations dans l’activité de la tectonique des plaques. En somme, on peut dire que ce qui a rendu et qui rend encore notre terre habitable, c’est bien sûr sa position par rapport au soleil (ni trop près, ni trop loin), mais aussi la tectonique des plaques.

On ne sait trop à quel moment la Vie est apparue à l’Archéen, mais on a de bonnes raisons de croire qu’elle était déjà sur terre il y a 3,76 Ga comme en témoignent les roches du Groupe d’Isua au Groenland (voir 4.3.2 La longue vie solitaire des bactéries pour plus de détails). Parmi les premières bactéries apparues, il y avait les pourpres et les vertes, capables d’oxyder le soufre réduit (S2- dans les sulfures comme la pyrite FeS2) en sulfate (SO42-, comme dans l’anhydrite CaSO4). Ces bactéries furent donc reponsables de la dissolution de sulfates dans l’hydrosphère, dès les premiers temps de l’Archéen, une première modification du milieu physico-chimique par des organismes vivants. La production d’oxygène libre O2 a commencé avec l’arrivée des premières bactéries capables de faire la photosynthèse, les cyanobactéries, qu’on appelle aussi les algues bleues-vertes. Celles-ci nous sont connues comme fossiles dans les roches sédimentaires, à partir de -3,5 Ga (3500 Ma). C’est le début du cycle court du carbone. La production d’O2 est minime à l’Archéen, mais prendra son essor au Protérozoïque. C’est aussi le début de la formation de la couche d’ozone (O3) bloquant les UV.

Le Protérozoïque: de -2,5 Ga à -544 Ma

Au début du Protérozoïque, la production d’oxygène libre est encore faible et l’atmosphère est réductrice. Les stromatolites, ces colonnes de CaCO3 construites par les cyanobactéries, avaient commencé leur développement à l’Archéen (autour de -3,5 Ga); ils vont prendre énormément d’expansion au Protérozoïque et contribuer à soustraire du CO2 de l’atmosphère grâce à la photosynthèse effectuée par les cyanobactéries et à stocker du carbone dans le CaCO3 dont ils sont constitués (voir Stromatolites).

Les températures terrestres n’ont pas toujours été constantes. La surface de la Planète a connu des alternances de périodes chaudes et de périodes froides. En anglais, on a désigné les périodes chaudes de « greenhouse » et les froides de « icehouse », deux termes imagés que je me permets de traduire par « planète-serre » et « planète-igloo ». On verra plus loin qu’il y a encore plus froid que planète-igloo, la planète « boule de neige »! Pour toute l’histoire géologique, on a documenté cinq grandes périodes de planète-igloo qui se sont traduites chacune par une ou plusieurs glaciations:

C’est dire que nous sommes présentement dans une période de planète-igloo (voir Le Grand Âge Glaciaire en Amérique au point 3.1.2).

Ces alternances de planète-serre et de planète-igloo ont eu une profonde influence sur le cycle de l’eau (voir au point 3.4.1). Elles constituent aussi un bel exemple de rétroaction négative qui en fait explique en partie l’existence de ces alternances.

Deux périodes de planète-igloo ont marqué le Protérozoïque. La première, autour des -2,3 Ga, correspond à une période de glaciation majeure, la Glaciation huronnienne. Deux causes sont invoquées pour expliquer cette glaciation: a) la prolifération massive des stromatolites à compter de -2,5 Ga qui a abaissé drastiquement la concentration en CO2 de l’atmosphère et par conséquent a diminué de façon importante l’effet de serre; b) une diminution dans l’activité de la tectonique des plaques entraînant une diminution des émissions de CO2 par les volcans.

La seconde période de planète-igloo du Protérozoïque correspond, en gros, au temps Néoprotérozoïque (entre -1000 et -544 Ma), une longue période froide qui aurait duré plus de 450 Ma. Plus précisément, elle a été marquée par quatre glaciations importantes: vers -940 Ma, de -760 à -700 Ma (Glaciation sturtienne), de -610 à -580 Ma (Glaciation Varangar ou marinoenne) et la dernière vers -550 Ma (Glaciation sinienne) au tournant du Précambrien-Cambrien. Cette dernière fut plutôt douce, mais l’avant-dernière, la Varanger, aurait été particulièrement sévère; certains y réfèrent comme une période de « terre boule de neige » qui a sévi pendant une trentaine de millions d’années.

Durant la période allant de -2,2 à -1,6 Ga, le Protérozoïque a connu le dépôt d’un volume exceptionnel de roches sédimentaires riches en fer dans lesquelles le fer se trouve sous sa forme oxydée Fe3+, comme par exemple dans le minéral hématite Fe2O3. Ces roches qu’on appelle « formations de fer » constituent la source de 90% du fer qu’on extrait des mines. La présence de ces formations de fer indique le début de l’oxygénation de l’atmosphère-hydrosphère. On a vu que durant tout l’Archéen, l’atmosphère était à toute fin pratique réductrice, ce qui est aussi vrai pour l’hydrosphère. Le gros des eaux de la Planète était anoxique, avec un énorme volume en fer réduit Fe2+ en solution. Les premières venues d’oxygène libre dans l’atmosphère au tout début du Protérozoïque grâce à la photosynthèse des cyanobactéries a oxydé les couches superficielles de l’hydrosphère, transformant le Fe2+ en Fe3+. Ce dernier n’est pas soluble dans l’eau et par conséquent a précipité sous forme solide dans les formations de fer. Cette précipitation a consommé de l’oxygène libre et a sans doute ralenti pour un temps l’oxygénation de l’atmosphère. Voir aussi L’oxygénétion de l’atmosphère).

Vers -1,4 Ga, sont apparues les eucariotes, de nouvelles cellules à noyau, aérobies (tolérant l’oxygène libre) et capables de photosynthèse, comme les algues unicellulaires. Elles sont responsables d’une oxygénation rapide de l’atmosphère, étant beaucoup plus efficaces que les cyanobactéries pour produire de l’O2. (N’oublions pas que ces formes de vie existent toujours et qu’on peut comparer leurs « performances » respectives). On évalue que l’atmosphère avait atteint son taux actuel en oxygène libre à la fin du Protérozoïque.

Le Protérozoïque se termine avec un réchauffement du climat terrestre. Le mégacontinent Rodinia (voir La période Protérozoïque au point 4.2.1 Les temps précambriens) se fragmente vers les -650 Ma et l’activité de la tectonique des plaques est grande, ce qui entraîne une augmentation de la concentration en CO2 de l’atmosphère et amorce en conséquence un réchauffement planétaire qui prendra effet au tout début du Phanérozoïque.

Le Phanérozoïque: les derniers 544 Ma

L’histoire des cycles biogéochimiques et des grands changements climatiques est beaucoup mieux connue qu’aux temps précédents. La raison tient dans une bien meilleure connaissance des séquences sédimentaires, dans l’abondance et la diversité des fossiles qui aident à comprendre les paléomilieux et à dater plus facilement les couches géologiques et à la résolution beaucoup plus fine des datations, le tout permettant de mieux comprendre la paléogéographie et son évolution dans le temps.


http://www.scotese.com/sitemap.htm. On y trouve une série de cartes paléogéographiques (les mêmes qui sont présentées aux points 4.2.2 et 4.2.3) et de cartes paléoclimatiques pour tout le Phanérozoïque.

On peut résumer ainsi l’histoire climatique du Phanérozoïque:

Le diagramme qui suit présente les variations de la teneur en CO2 atmosphérique durant le Phanérozoïque. Il s’agit de la courbe connue sous le nom de GEOCARB II, basée sur un modèle mathémathique et analytique établi par Robert A. Berner en 1994 (Am. Jour. Science) et 1997 (Science). On y voit le nombre et la répartition des points qui ont servi à construire la courbe, ainsi que la marge d’erreur reliée à la méthode. RCO2 exprime une proportion, c’est-à-dire le nombre de fois le niveau actuel du CO2 atmosphérique (soit 300 partie par million, valeur d’avant l’ère industrielle). Exemple: à l’Ordovicien, le niveau de CO2 a été jusqu’à 22 fois plus élevée que juste avant l’ère industrielle.

Deux courbes des températures de surface se superposent à cette courbe, l’une (la droite orangée) calculée uniquement en fonction de la variation dans le temps de l’intensité du rayonnement solaire, sans tenir compte de la présence de CO2, l’autre (bleue) calculée en tenant compte de la variation temporelle de l’intensité du rayonnement solaire, couplée aux teneurs en CO2 atmosphérique (effet de serre).

Les faits saillants de la courbe du CO2 durant les quelques derniers 600 Ma sont les suivants: 1) la concentration atmosphérique de CO2 fut plus élevée dans la première demie du Paléozoïque qu’elle ne le fut pour les derniers 400 Ma; 2) le Carbonifère-Permien a connu une chute drastique du niveau de CO2 atmosphérique; 3) après cette chute, les niveaux de CO2 ne sont jamais remontés à leur position du début du Paléozoïque; 4) les niveaux de CO2 baissent progressivement depuis le Trias, avec une accélération à partir du Cénozoïque.

La forte concentration de l’atmosphère en CO2 durant la période du Cambrien au Dévonien est due au fait que l’activité de la tectonique des plaques était assez élevée, entraînant un dégazage en CO2 par les volcans, et que le captage du CO2 atmosphérique était limité. En fait, le seul puits de carbone significatif à cette époque était relié au processus de l’altération superficielle des silicates continentaux qui, par captage du CO2 atmosphérique, conduisait au stockage du carbone dans le CaCO3 des sédiments et roches sédimentaires marines, un processus dont nous avons discuté plus haut. La production biologique primaire était pratiquement limitée à la vie marine à cette époque et par conséquent le volume de matière organique pouvant être stoké était peu important.

C’est l’avènement des plantes vasculaires à racines et la colonisation de vastes surfaces continentales à la fin du Dévonien qui a sérieusement modifié le décors et accéléré le stockage du carbone, de deux manières. D’abord par l’action des racines des plantes vasculaires qui accélèrent l’altération chimique des silicates en profondeur dans les sols et captent ainsi le CO2 atmosphérique, libérant une quantité de produits beaucoup plus grande que précédemment et augmentant substantiellement le stockage du carbone dans les sédiments et roches sédimentaires marines. Puis, cette végétation terrestre a produit une énorme quantité de matière organique qui est venue s’accumuler dans les marécages et les zones côtières marines. Les décomposeurs (bactéries, champignons) capables d’oxyder cette nouvelle matière organique (entre autres les lignines) n’étaient pas encore apparus sur terre à cette époque; ils ne viendront que plus tard, au Mésozoïque. En effet, l’oxydation de la lignine dans la biosphère actuelle est assurée par les champignons supérieurs dont les plus anciens fossiles connus remontent au Trias. Ce qui fait que ces matières se sont accumulées, ont été progressivement transformées en charbon et ont constitué un véritable tonneau des Danaïdes, un puits de carbone sans fond. Le Carbonifère-Permien contient le gros des réserves en charbon de la Planète. De là cette chute drastique du niveau de CO2 à la fin du Dévonien et le maintien d’un bas niveau tout au long du Carbonifère-Permien.

À la fin du Permien - début du Mésozoïque, c’est la Pangée. Les surfaces continentales sont vastes, car le niveau marin est bas. Le puits de carbone de l’altération superficielle fonctionne encore bien. Mais le début du Mésozoïque est une période de forte activité tectonique: c’est la fragmentation de la Pangée et l’ouverture de l’Océan Atlantique. Le dégazage au niveau des dorsales et des volcans de zone de subduction est intense et émet une grande quantité de CO2. Le niveau de CO2 atmosphérique se reconstruit, mais ne reviendra pas à son niveau de la première demie du Paléozoïque. L’altération continentale à travers les pluies acides et les racines des plantes va continuer à agir comme puits de carbone, mais les nouveaux décomposeurs des végétaux terrestres vont contribuer à diminuer énormément le stockage du carbone sous forme de charbon.

À partir de - 80 Ma, on note une chute significative du niveau de CO2 atmosphérique. On sait qu’il y a une nette diminution de l’activité tectonique aux dorsales médio-océaniques à partir de ce moment, ce qui aurait diminué les émissions de CO2 reliées au dégazage par les volcans. Cependant, cette diminution de l’activité tectonique n’est sans doute pas suffisante pour expliquer la chute plus importante à partir de -30 Ma. Une hypothèse récente relie cette chute à la collision de l’Inde avec l’Asie. Cette collision a créé une gigantesque chaîne de montagnes, l’Himalaya, avec au nord des terrains surélevés, le plateau du Tibet. Les nouveaux reliefs de la chaîne auraient offert des surfaces rocheuses facilement érodables et altérables chimiquement, contribuant efficacement au captage du CO2. En même temps, le soulèvement du plateau tibétain aurait favorisé les grandes pluies saisonnières (mousson) et fourni l’eau nécessaire à l’altération chimique au front de l’Himalaya. Ce serait là un autre exemple de l’implication de la tectonique des plaques dans un des grands cycles biogéochimiques. Finalement, les glaciations des 2 derniers Ma (Pléistocène) ont contribué au captage du CO2 atmosphérique et son piégeage dans les sédiments marins en offrant à l’altération chimique de plus grandes surfaces continentales durant les périodes de bas niveaux marins (jusqu’à -135 mètres).

Il y a une corrélation assez évidente entre la courbe des variations des niveaux de CO2 et celle des variations des températures. Le rôle du CO2 en tant que gaz à effet de serre apparaît bien démontré ici. Point n’est besoin d’élaborer longuement sur ce sujet. Si les températures du Mésozoïque se retrouvent au même niveau que celles de la première demie du Paléozoïque pour une teneur atmosphérique en CO2 bien inférieure, c’est qu’il y a eu, au Mésozoïque, une augmentation dans l'intensité du rayonnement solaire (courbe orangée).

Un événement climatique important qui n’a pas été détecté par le modèle de la courbe des températures est une brève période de glaciation qui eut lieu à la fin de l’Ordovicien. Cette glaciation est bien documentée par la présence de dépôts glaciaires (tillites) sur les masses continentales qui se situaient à l’époque au pôles sud (voir carte paléoclimatique du milieu et fin Ordovicien de Scotese à http://www.scotese.com/mlordcli.htm). Elle est aussi fort probablement responsable d’une des cinq grandes extinctions de masse (voir L'extinction de la fin de l'Ordovicien à la section 4.3.3 sous Les grands chambardements de la vie: les extinctions de masse ).

La 3ème période de planète-igloo a conduit à un âge glaciaire important, les glaciations permo-carbonifères. Celles-ci nous sont connues par les nombreux dépôts glaciaires qui ont été répertoriés sur la grande masse continentale qu’était la Pangée, principalement dans l’hémisphère sud, du pôle juqu’à la frontière entre les zone tempérée et tropicale (voir carte paléoclimatique du Permien de Scotese à http://www.scotese.com/epermcli.htm). On se souviendra que la distribution de ces dépôts a été utilisée par Alfred Wegener comme l’un des arguments appuyant l’idée d’une ancienne Pangée et de la dérive des continents (voir Les traces d’anciennes glaciations à la section 1.1 La dérive des continents).

Finalement, la 4ème période de planète-igloo s’est amorcée avec le Cénozoïque, et sa première grande glaciation (le stade glaciaire Nébraskien) a débuté il y a 2 Ma. Nous vivons depuis dans ce Grand Âge Glaciaire. Il y a fort à parier que nous sommes présentement dans un stade interglaciaire, attendant une prochaine englaciation, ... à moins que nos émissions accélérées de CO2 atmosphérique amène un réchauffement si important qu’il mettra fin à cette 4ème période de planète-igloo et amorcera une nouvelle période de planète-serre! Allons voir au point suivant.


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