Les grands chambardements de la vie: les extinctions de masse



Les extinctions de masse qui ont eut lieu à travers les temps géologiques constituent un aspect des plus enigmatiques, mais combien passionnant, pour celui qui étudie l'évolution de la vie.

Depuis pas mal longtemps, les archives paléontologiques nous avaient enseigné qu'il y avait eu des moments de grand chambardement de la vie dans les temps géologiques. On a vu par exemple, que de grands changements fauniques avaient servi à délimiter les grandes ères lorsqu'on a construit le calendrier des temps géologiques. Ces grands chambardements correspondent à ce qu'on appelle des extinctions de masse, un phénomène qui a forcé la vie à se réorganiser à plusieurs reprises durant les temps géologiques.

Les extinctions de masse à travers les temps géologiques

On considère que la biodiversité actuelle représente tout au plus 1% de toutes les espèces qui ont vécu dans le passé. En clair, cela signifie que 99% des espèces se sont éteintes. Cette extinction n'est pas linéaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas uniquement le fait de remplacement progressif d'une espèce par une autre, comme par exemple sous l'impulsion de la sélection naturelle. Cela ne signifie pas que le remplacement progressif n'a pas existé: il n'a simplement pas été le seul processus impliqué. Les extinctions d'espèces ont procédé souvent par soubresaults.

Plusieurs de ces soubresaults ont été répertoriés à travers les temps géologiques par les paléontologues. Ce tableau nous montre la répartition temporelle des principaux.

Il y a des degrés dans l'ampleur d'une extinction de masse. Ici, les barres horizontales de couleurs diverses indiquent plusieurs extinctions; leur longueur se veut proportionnelle à l'ampleur de l'extinction. On se réfère le plus souvent aux cinq grandes.

Qu'est-ce qui cause une extinction de masse?

On parle ici d'extinction de masse, c'est-à-dire l'extinction simultanée de plusieurs espèces non apparentées et de constitutions variées. Cette définition est importante à retenir lorsqu'on tente de déterminer les causes d'une extinction. Certains événements peuvent causer l'extinction d'une seule espèce, sans nécessairement causer celles de plusieurs autres. Par exemple, un virus, comme le virus HIV chez l'homme, peut causer la disparition totale de cette espèce à la surface du globe, sans entraîner nécessairement les autres espèces.

Pour expliquer les extinctions de masse, il faut chercher des causes universelles. On peut considérer deux grands ensembles de causes: 1) des causes biologiques, comme par exemple l'effondrement de vastes systèmes écologiques, ou encore la disparition de tout le plancton; 2) des causes physiques, comme par exemple, la détérioration marquée du climat, la chute de grandes météorites, du volcanisme exceptionnel ou une configuration particulière des masses continentales. Bien sûr, les premières sont souvent le résultat des secondes.

Au chapitre des causes biologiques, deux conceptions extrêmes s'opposent en ce qui concerne les systèmes écologiques. L'idée la plus véhiculée de ce qu'est un écosystème est que les communautés animales et végétales sont des systèmes délicats, formés de dépendances et d'interactions en équilibre harmonieux, mais facilement perturbables. Ces systèmes sont souvent vus comme le résultat de millions d'années d'adaptation réalisés dans le cadre de l'évolution et que par conséquent, retirer une seule pièce du système risque de tout détruire.

À l'autre extrême, il y a ceux qui prétendent que les communautés sont une collection d'espèces dont les habitats se trouvent coïncider par hasard dans l'espace, chacune des espèces s'efforçant de vivre du mieux qu'elle peut en étant opportuniste, se nourrissant de tout ce qui se présente.

Ces deux façons de voir les choses revêtent un grande importance pour comprendre les causes des extinctions de masse. Si la première vision est la bonne, des événements plutôt anodins vont causer des extinctions de masse en tuant une seule espèce. Si au contraire, c'est la seconde vision qui est la bonne, il faudra des événements extraordinaires touchant plusieurs espèces non apparentées à la fois. Les archives géologiques et paléontologiques semblent donner raison à la seconde en ce qui concerne les extinctions de masse.

Au chapitre des causes physiques, celles qu'on a le plus souvent invoquées dans le passé pour expliquer les extinctions de masse sont les changements climatiques et les variations du niveau des mers qui en découlent. Jusqu'au début des années 1980, l'hypothèse qu'on retrouvait dans la plupart des manuels de géologie ou de paléontologie concernant l'extinction Crétacé-Tertiaire (celle qui a entraîné la disparition des dinosaures) était un changement climatique important qui avait affecté autant les aires terrestres que marines, un changement climatique (glaciation? mouvement des plaques tectoniques?) ayant entraîné une détérioration des conditions de vie sur la terre ferme et un abaissement du niveau des mers, ce qui aurait fait disparaître plusieurs espèces terrestres et marines.

Deux chercheurs, Jablonski et Flassa, ont tenté, en 1984, de tester cette relation extinction-abaissement du niveau des mers. Par exemple, ils ont calculé quel serait le taux d'extinction, à l'échelle planétaire, si tous les organismes vivants actuellement sur les plateaux continentaux disparaissaient, disons par un abaissement du niveau des mers de l'ordre de 135 m. Ils ont pris comme groupe cible les mollusques, un groupe abondant. La réponse obtenue est de 13%. Par comparaison, le niveau d'extinction pour ce seul groupe à la fin du Permien a été de 52%. Il semble donc que ce ne soit pas là une cause suffisante.

Un autre exemple va dans le même sens. La dernière grande glaciation du Pléistocène a abaissé le niveau des mers jusqu'à -130 m, de quoi dénuder pratiquement tous les plateaux continentaux. Bien qu'on ait noté une baisse de la biodiversité marine, on n'a noté aucune extinction qui pourrait être qualifiée de masse. La raison est finalement simple: les abaissements du niveau marin reliés aux changements climatiques ou à la tectonique des plaques sont relativement lents: les organismes ont le temps de migrer, de s'adapter. Il faut trouver des causes plus catastrophiques pour expliquer ces extinctions.

Pour discuter plus à fond des causes des extinctions, commençons avec le cas le plus médiatisée et qui, depuis que les enfants américains sont tombés en amour avec les dinosaures, excite l'imagination populaire: l'extinction qui a entraîné la disparition de ces grosses bêtes. Comment et pourquoi sont disparus les dinosaures, à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d'années?

Qui a tué les dinosaures?

Durant des décennies, les paléontologues (et bien d'autres amoureux des grosses bêtes) ont recherché la cause de la disparition subite des dinosaures à la fin du Crétacé. Une multitude d'explications ont été suggérées, pour la plupart axées sur la vision darwiniste de la sélection naturelle: la compétition entre les espèces, la mésadaptation de certaines fonctions qui mènent à l'élimination des mésadaptés et les adversités de la vie ou du milieu qui forcent les espèces à s'adapter ou disparaître. Voici quelques exemples.

On aura compris que toutes ces hypothèses ne sont pas très convaincantes, même si elles ont connu leur heure de gloire. Aujourd'hui, les hypothèse les plus crédibles se rattachent aux cataclysmes naturels, tels les chutes d'astéroïdes ou du volcanisme exceptionnel.

Avant d'évaluer ces hypothèses, il y a une donnée fondamentale dont on doit tenir compte en ce qui concerne l'extinction K-T: il n'y a pas que les dinosaures qui sont disparus, mais avec eux, 75% des espèces à la surface de la planète, ce dont ne prenaient pas en compte les hypothèse précédentes. Ainsi, avec les dinosaures, sont disparus:

Seuls sont passés à travers la crise:

Il faut tenir compte de cette donnée fondamentale qui nous dit qu'il s'agit là d'une véritable extinction de masse, c'est-à-dire la disparition simultanée de plusieurs espèces non apparentées et de constitutions variées.

a) L'hypothèse de l'astéroïde (météorite)

Au début des années 1980, on s'est affranchi de la recherche de causes dites normales pour s'aventurer dans l'examen de causes extrêmes. Cet affranchissement est venu d'une proposition des chercheurs Walter et Luis Alvarez, père et fils, l'un physicien (prix Nobel de physique) , l'autre géochimiste, à l'effet que l'extinction K-T aurait été causée par la chute d'un astéroïde qui aurait projeté des tonnes de matériaux dans l'atmosphère et profondément bouleversé les conditions de vie à la surface de la planète.

Ces deux chercheurs ont eu l'idée de vérifier si, non seulement la vie, mais les sédiments avaient aussi enregistré un événement important qui pourrait expliquer l'extinction. Ils ont choisi d'analyser une séquence de roches sédimentaires à grains très fins, des schistes, qui justement contiennent les couches de cette limite du Crétacé-Tertiaire. En d'autres termes, ils ont étudié une séquence continue qui présentait les couches sous la limite, à la limite et au-dessus de la limite K-T. Ils espéraient donc pouvoir déceler des changements, si changements il y avait.

Ils ont découvert une anomalie géochimique très importante au niveau de la limite K-T, une concentration anormalement élevée d'iridium. L'iridium est un élément très rare dans les roches terrestres, mais pas dans les cailloux qui nous viennent de l'espace, les météorites. C'est là qu'ils ont formulé l'idée d'un impact météoritique, la chute d'un astéroïde. [Question de sémantique: astéroïde = petite planète ou morceau de planète se déplaçant dans le système solaire; météorite = la roche elle-même qui constitue l'astéroïde et qui nous parvient lors de la collision de ce dernier avec notre planète].

Cette météorite, comme toutes les grandes météorites, se serait pulvérisée, vaporisée au contact de la terre et aurait projeté dans l'atmosphère, un immense nuage de poussière qui se serait rapidement dispersé tout autour de la planète, voilant le soleil et créant une sorte d'hiver nucléaire, une avant-première en quelque sorte de ce que risque de produire l'homme un jour! Les gros organismes comme les dinosaures qui dépendent d'une nourriture abondante seraient disparus en peu de temps, de même que le plancton qui dépend de la photosynthèse, avec tout ce que cela entraîne comme conséquences pour la vie marine. Les spores et les graines des plantes terrestres ont sans doute pu patienter et attendre quelques années le retour des temps meilleurs. Les petits mammifères ont peut-être trouvé leur nourriture parmi les graines.

L'iridium de la météorite aurait été distribué, avec les poussières, à la grandeur de la terre, puis déposé avec les retombées de poussières. On devrait donc retrouver cet iridium un peu partout dans les sédiments de cet âge: c'est en effet le cas.

Depuis, plusieurs observations sont venues s'ajouter à l'argument de l'iridium: présence de quartz de haute température et de sphérules de verre typiques des impacts météoritiques; présence anormale de carbone issu de la suie qui indique qu'il y a eu de grandes incendies à cette époque; plus récemment, la découverte par une équipe française de magnétites nickellifères qui ne peuvent se former qu'en présence d'oxygène et d'une grande quantité de nickel et qui sont pratiquement absente à la surface de la planète. Ces magnétites nickellifères se forment lorsqu'une météorite riche en nickel entre en contact avec l'atmosphère oxygénée de la terre. Ainsi, elles n'existent pas sur la lune, puisqu'il n'y a pas d'atmosphère oxygénée.

La cerise sur le gâteau: on a découvert au début des années 1990, 10 ans après la proposition des Alvarez, le cratère météoritique (astroblème) correspondant en âge à la frontière Crétacé-Tertiaire. Il s'agit de l'astroblème de Chicxulub, dans le nord-ouest de la péninsule du Yucatan, au Mexique (Carte paléogéographique de l'époque). Cet astroblème fait 260 km de diamètre, soit trois fois celui de Manicouagan au Québec, un des grands astroblèmes connus. Il présente un escarpement de 3000 m et est enfoui sous plusieurs centaines de mètres de sédiments. Il a affecté en partie le continent et en partie le plateau continental peu profond. On évalue que l'impact fut équivalent à un séisme de magnitude supérieure à 10. La dimension de la météorite est évaluée à 10 km de diamètre et l'énergie cynétique dégagée à 100 millions de mégatonnes. De quoi perturber sérieusement l'atmosphère terrestre, créer un tsunami important, créer un effet de voile autour de la planète et causer des incendies à l'échelle tout au moins continentale.

Nulle doute donc qu'il y a eu un impact météoritique il y a 65 Ma. Doit-on pour autant conclure qu'il est responsable de l'extinction de masse K-T?

b) l'hypothèse du volcanisme exceptionnel

On a démontré qu'à la fin du Crétacé il y a eu sur le continent indien, pendant sa migration vers le nord (carte paléogéographique de l'époque), un volcanisme exceptionnellement intense relié à un point chaud. On a appelé les dépôts de laves résultants, les Traps du Deccan [traps = escaliers; empilement de coulées de laves formant les falaises en escaliers du plateau du Deccan dans le sud de l'Inde], une épaisseur considérable de laves, près de 2500 m, sur une superficie immense qu'on évalue à plus de 2 millions de km2. On peut dire que c'est là, en effet, un événement exceptionnel. Un tel volcanisme a pu chambarder l'atmosphère par des émissions importantes de CO2 et/ou de SO4, causant une intensification de l'effet de serre entraînant une augmentation de la température, des changements climatiques très importants, des pluies acides causées par des émissions d'hydrogène sulfureux par les volcans, des modifications probables des eaux océaniques, etc. On peut facilement penser que la vie sur la planète aurait été profondément affectée.

Comme pour la chute de la météorite, aucun doute que ce volcanisme a eu lieu, mais est-il responsable de l'extinction de masse?

c) Une relation de cause à effet?

De la coïncidence de deux événements, il ne découle pas nécessairement une relation de cause à effet. La présence de X sur les lieux d'un accident ne fait pas de lui le responsable de l'accident. Voilà tout le dilemme. On a fait aujourd'hui, sans nuance, un dogme voulant que la météorite soit la responsable exclusive de l'extinction K-T et de la disparition des dinosaures.

Récemment, Vincent Coutillot, dans un ouvrage de vulgarisation très intéressant (La Vie en Catastrophes, Fayard, 1995) a montré que l'événement volcanique exceptionnel de la fin du Crétacé s'était produit sur une courte période d'environ un demi-million d'années à peine et que l'éjection de CO2 aurait été de d'ordre de dix fois supérieure à ce que l'on connaît aujourd'hui. Un demi-million d'années représente tout de même un intervalle de temps plus long que la chute d'une météorite, mais un tel volcanisme en si peu de temps a de quoi détériorer sérieusement le climat.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'un ou l'autre des deux scénarios constituent à première vue un candidat sérieux dans la recherche des causes de l'extinction K-T. Chacun aurait pu pertuber l'atmosphère terrestre au point de détruire la chaîne trophique photosynthèse-herbivores-carnivores et conduire à une extinction de masse. La paléontologie peut-elle apporter une réponse?

Certains ont proposé qu'en fait les dinosaures étaient déjà sur leur déclin et qu'il n'était pas nécessaire d'invoquer un événement catastrophique pour leur disparition. On a cependant démontré que, sur une base statistique, la diversité des dinosaures était aussi grande durant les deux derniers millions d'années de leur existence que durant tout le Crétacé. Mais encore là, il faut éviter de se centrer sur les dinosaures et examiner l'ensemble de la faune.

Ainsi, deux études (Archibald et Bryant, 1990; Sheehan et Fastovski, 1992) ont montré que 88% des espèces qui vivent sur la terre ferme se sont éteintes, alors que par contre 90% des espèces d'eau douce ont survécu. Une telle situation peut s'expliquer par la nature de la chaîne alimentaire à laquelle participe chaque groupe: les espèces qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux plantes vivantes (herbivores) sont disparues (dinosaures, la plupart des vertébrés terrestres), alors que celles qui participaient à la chaîne alimentaire reliée aux détritus (les détritivores) laissés dans les lacs, les cours d'eau, les sols, les racines, etc. ont survécu. C'est ce qui a pu faire la différence entre les dinosaures et les petits mammifères; ces derniers n'étaient pas adaptés à brouter les végétaux, mais étaient plutôt insectivores, omnivores ou détritivores. On peut en dire autant pour les espèces marines: le plancton qui dépend de la photosynthèse et toute la vie benthique ou nectonique qui filtre le plancton sont disparus, alors que les détritivores comme les poissons sont passés à travers la crise. Chez les oiseaux, ceux qui vivaient en forêts sont disparus, alors que ceux des rives marines ont survécu.

Il apparaît assez clairement que l'évènement qui a causé l'extinction K-T en est un qui a perturbé sérieusement la chaîne alimentaire à partir de la photosynthèse. Dans les deux cas, chute de météorite ou volcanisme exceptionnel, les quantités énormes de poussières et de gaz éjectées dans l'atmosphère ont créé un voile qui a fort probablement inhibé la photosynthèse pour plusieurs années, avec les conséquences que l'on connaît sur la chaîne alimentaire.

Peut-être que le volcanisme à lui seul n'aurait pas été suffisant pour créer une extinction et qu'il a fallu le coup de grâce de l'astéroïde? Peut-être, à l'inverse, que l'astéroïde seul n'aurait pas suffit s'il n'y avait eu d'abord ce volcanisme exceptionnel? Peut-être faut-il la coïncidence d'au moins deux événements extrêmes pour causer une extinction de masse? Les quatre autres extinctions peuvent-elles nous apprendre quelque chose à ce sujet?

Les autres extinctions de masse

L'extinction de la fin du Permien constitue la plus grande crise entre toutes; on évalue que 95% des espèces sont disparus, contre de 60 à 75% pour les quatre autres crises (75% pour l'extinction K-T). Mais ici, aucune trace de chute d'un astéroïde: pas d'iridium, pas d'impactites, pas de quartz de haute température, pas de magnétite nickellifère, pas de concentrations anormales en carbone, pas de cratère météoritique; rien de ce qui nous sert à diagnostiquer un tel événement catastrophique.

Par contre, du volcanisme exceptionnel a bien eu lieu vers la fin du Permien-tout début du Trias, un volcanisme daté à 248 ± 2 Ma en Sibérie. Les Traps de Sibérie sont formés d'une épaisseur de 3700 m de laves, déposées en moins d'un million d'années, sur une superficie de 350 000 km2, représentant moins de 3% du volume des Traps du Deccan. Peut-être pas suffisant pour produire une extinction de l'ampleur de celle de la fin du Permien. Mais ...

Mais, à la fin du Permien, on a connu une situation extraordinaire: toutes les masses continentales étaient rassemblées en un seul mégacontinent, la Pangée.

En quoi cela peut-il affecter la vie sur la planète? La configuration actuelle des continents et des océans permet, entre autres, un patron de circulation océanique qui régule la distribution des températures à la surface de la planète, d'où une régulation des climats (Section 3 - Les océans - L'océan régulateur des températures atmosphériques). Une configuration comme celle de la fin du Permien, avec un seul grand continent et un seul grand océan, a conduit à une mauvaise circulation qui aurait causé une détérioration des climats et une anoxie partielle des bassins marins. Aussi, la configuration actuelle en plusieurs petites masses continentales procure une grande superficie de plateaux continentaux où prolifère la vie marine benthique, alors que la configuration d'une seule grande masse diminue de beaucoup cette superficie disponible pour la vie marine benthique. On a vu aussi précédemment que l'accumulation de chaleur sous un mégacontinent soulève celui-ci, d'où une émergence progressive des plateaux continentaux. Il faut voir cependant que le rassemblement des continents pour former la Pangée n'est pas un événement subit, donc que l'on pourrait invoquer à lui seul pour causer une extinction de masse qui, elle, intervient dans un laps de temps relativement court.

Le volcanisme de Sibérie a peut-être été le coup de grâce à une détérioration progressive des conditions de vie sur terre qui durait depuis quelques dizaines de millions d'années. Ajoutons aux causes possibles de cette détérioration, que certains chercheurs avancent, sur la base d'une anomalie importante en carbone-12 à la toute fin du Permien, qu'il y aurait eu une déstabilisation massive des hydrates de méthane des fonds marins, produisant une émission importante du gaz méthane dans l'atmosphère, un gaz à effet de serre très efficace qui aurait entraîné une augmentation substancielle (4 à 5 °C) des températures.

L'extinction de la fin de l'Ordovicien (autour de -445 Ma) présente aussi un cas intéressant et des causes différentes des deux précédentes. Comme pour le Permien, aucune trace de chute de météorite. On note cependant un événement très important à la fin de l'Ordovicien: une grande glaciation qui s'est concrétisée par la présence d'une calotte glaciaire au pôle sud. Mais une glaciation est-elle suffisante pour causer à elle seule une extinction de masse de l'envergure de celle de la fin de l'Ordovicien? Il semble bien que non, puisque la grande glaciation du Pléistocène (les deux derniers millions d'années) n'a pas eu cet effet.

Pourtant, les études les plus récentes sur l'extinction de la fin de l'Ordovicien concluent à la relation glaciation-extinction. Sans entrer dans les détails, disons qu'il faut tenir compte ici d'un second paramètre très important qui vient s'ajouter à celui de la glaciation: la dimension des plateaux continentaux de l'époque. La carte qui suit est celle qui représente la configuration des continents et des océans au milieu de l'Ordovicien.

On voit bien sur cette carte que les plateaux continentaux sont immenses par rapport aux terres émergées (voir, par exemple, les continents Laurentia, Siberia et Baltica), formant ce qu'on appelle de grandes mers épicontinentales. Cette carte représente la situation au milieu de l'Ordovicien, mais la situation n'avait pas vraiment changée à la fin de l'Ordovicien en ce qui concerne la dimension des mers épicontinentales (carte non disponible dans la série des cartes de C.R. Scotese). Outre le refroidissement du climat, l'effet principal d'une glaciation est de causer un abaissement du niveau des mers, un abaissement qui peut exposer l'ensemble des plateaux continentaux. À l'Ordovicien, la vie était essentiellement cantonnée dans les mers, surtout dans ces grandes mers épicontinentales peu profondes. On évalue à environ une centaine de mètre l'abaissement du niveau marin, ce qui a vidé une grande partie des mers épicontinentales. Voilà donc à nouveau la coïncidence de deux situations exceptionnelles, glaciation et présence de grandes mers épicontinentales, qui peut-être a permis une extinction de masse.

Quant aux deux autres grandes extinctions, l'extinction de la fin du Dévonien (-360 Ma) et l'extinction de la fin du Trias (-208 Ma), on cerne mal pour le moment leurs causes. Chute de météorites? Pas certain. On connaît un des beaux cratères météoritique, celui de Manicouagan au Québec, qui date de la fin du Trias, plus précisément à -214 Ma; la coïncidence des âges n'est pas idéale. De plus, on évalue la météorite à environ 5 km de diamètre, ce qui est la moitié de celle de Chicxulub (extinction K-T). Quant à la fin du Dévonien, on a retrouvé quelques évidences suggérant un impact météoritique, mais rien d'aussi certain que le cas de Chicxulub. On sait aussi qu'il y eut un événement anoxique marin très important, mais on en cerne mal la cause.

On aimerait bien pouvoir identifier une cause unique aux grandes extinctions de masse; c'est malheureusement ce qui est le plus souvent véhiculé, ... en citant toujours le cas de la météorite de Chicxulub. C'est tellement plus simple. Mais la géologie et la paléontologie nous enseignent deux choses: 1) que les causes peuvent être multiples; 2) qu'il n'est pas certain qu'une de ces causes, aussi catastrophique soit-elle, puisse à elle seule conduire à une extinction de masse. Il est peut-être nécessaire d'avoir la coïncidence de plus d'un événement extrême. N'oublions pas qu'en terme de probabilités, ce qui apparaît improbable à notre échelle, comme par exemple la coïncidence d'une chute de météorite et d'un volcanisme exceptionnel, le devient à l'échelle des temps géologiques.

La périodicité des extinctions

Les paléontologues Raup et Sepkoski ont attiré l'attention sur l'aspect périodique des extinctions. On ne parle pas ici uniquement des cinq grandes discutées plus haut, mais de plusieurs extinctions de moindre importance, mais qui demeurent toujours des extinctions de masse. En compilant les fluctuations numériques des familles et des genres marins depuis le Permien, c'est-à-dire pour les derniers 285 millions d'années, ces chercheurs ont mis en évidence une périodicité de 26 Ma dans les extinctions.

Pour certains, une telle évidence renforce l'hypothèse d'une cause extra-terrestre, mais on est loin d'avoir cerné l'explication à cette périodicité.

Dans quelle mesure, les extinctions de masse ont-elles eu une influence sur l'évolution de la vie? A voir à la rubrique suivante ...

Lectures suggérées


http://www.astrosurf.com/lombry/menu-impacts.htm. Un excellent dossier sur les impacts météoritiques et leurs effets. À consulter en particulier, la rubrique sur les extinctions périodiques des espèces où sont discutées en long et en large les diverses hypothèses.

http://www.lpl.arizona.edu/SIC/impact_cratering/Chicxulub/Chicx_title.html. Les données de base sur l'astroblème de Chicxulub.

http://miac.uqac.ca/MIAC/chicxulub.htm. Une autre page venant de l'Université du Québec à Chicoutimi sur Chicxulub.

http://geoweb.princeton.edu/people/faculty/keller/chicxulub.html. Sans remettre en question la chute d'une météorite à la fin du Crétacé, tous ne sont pas d'accord que l'astroblème de Chicxulub représente l'arme du crime (le smoking gun) qui a fait disparaître les dinosaures et bien d'autres espèces. Voici le dossier!


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