L'océan régulateur des températures atmosphériques
Il y a une nette relation entre la circulation des eaux océaniques et les températures atmosphériques. Les courants de surface sont reliés au régime des vents et contribuent à réguler les températures atmosphériques. Durant la période estivale, l'océan absorbe les fortes radiations solaires, les stocke sous forme de chaleur et redistribue ensuite cette dernière grâce au divers courants océaniques de surface qui déplacent les masses d'eau chaude vers les latitudes polaires et les masses d'eau froide vers les zones équatoriales et tropicales où elles viennent se réchauffer.
Cet échange nord-sud a une forte influence sur les températures atmosphériques. On évalue que s'il n'y avait pas ce régulateur, le flux de chaleur des latitudes méridionales vers les hautes latitudes serait deux fois moindre, avec la conséquence que les contrastes entre les climats seraient encore plus marqués: il ferait plus froid aux pôles et plus chaud à l'équateur.
Les courants profonds ne sont pas directement influencés par le régime des vents, mais sont plutôt contrôlés par les changements de température et de salinité des masses d'eau. Les océanographes ont reconnu un cycle important de la circulation océanique à l'échelle de l'ensemble des océans et à une échelle de temps de l'ordre d'un millier d'années. C'est la circulation thermohaline.
Il s'agit d'une boucle qui prend son origine dans l'Atlantique-Nord où les eaux froides (refroidies par les vents froids du Canada), salées, denses et bien oxygénées plongent vers les profondeurs, s'écoulent vers le sud sur les fonds océaniques tout au long de l'Atlantique, traversent l'Océan Indien, puis remontent vers le nord le long du Pacifique, pour refaire surface dans le Pacifique-Nord, froides et mal oxygénées. Ces eaux se réchauffent et s'oxygènent tout au long de leur parcours en surface, du Pacifique à l'Atlantique, et, refroidies à nouveau dans l'Atlantique-Nord, plongent pour recommencer le cycle. Il faut environ 1000 ans pour un aller-retour. C'est l'océan global (selon Broeker, 1995, Scientific American, v. 273).
Atmosphère et océan forment un couple intimement lié. La circulation atmosphérique influence les courants marins et vice versa. Le meilleur exemple de cette relation intime est le fameux phénomène El Niño.
L'océan régulateur de sa propre salinité
Qui ne s'est pas demandé un jour pourquoi l'eau de la mer est salée, alors que celle des lacs et rivières ne l'est pas? L'eau marine contient en effet une quantité relativement importante de « sels » dissouts (et non uniquement du sel, NaCl). Les constituants primaires des sels marins sont, par ordre d'importance, les ions chlore Cl- (18,98 g/kg), sodium Na+ (10,56 g/kg), sulfate SO42- (2,65 g/kg), magésium Mg2+ (1,27 g/kg), calcium Ca2+ (0,40 g/kg) et potassium K+ (0,38 g/kg). Sauf pour le calcium dont la quantité peut varier d'un endroit à l'autre, la proportion entre chacun des ions est assez constante à la grandeur des océans. Avec d'autres ions en quantité moindre, ces principaux ions comptent pour 35 g/kg en moyenne dans les océans, qu'on exprime plus communément en pour-mille, soit 35‰, la salinité dite normale de l'océan. On a vu à la section 2 du cours que ces ions peuvent se lier entre eux pour former les minéraux de la séquence évaporitique, la calcite (CaCO3), le gypse (CaSO4.nH2O), la halite (NaCL, le sel de table) et la sylvite (KCl).
D'où viennent ces ions? Tous ces ions proviennent de l'altération superficielle des roches, un processus qu'on a brièvement abordé au point 2.2.2 et qui est discuté plus en détail, plus loin dans le cadre de certains grands cycles biogéochimiques (section 3.4). L'eau qui circule sur et dans les roches s'accapare les ions solubles et les transporte vers l'océan. On évalue que les rivières apportent entre 2,5 et 4 milliards de tonnes de sels dissouts dans les océans chaque année. L'eau s'évapore à la surface des océans, laissant derrière les sels. Une partie de cette eau évaporée (eau pure, sans sel) retourne aux continents où elle ruisselle, altère les roches et rapporte à l'océan de nouveaux sels. À recevoir ainsi continuellement des ions, les océans deviendraient-ils progressivement de plus en plus salés!
C'est ce qu'a cru un scientifique irlandais (John Joly) au début du 20ème siècle. Il faut savoir qu'à cette époque, la radioactivité qui aujourd'hui nous sert à dater les roches n'était pas connue (la méthode n'a été mise au point qu'au milieu du 20ème siècle) et que par conséquent l'âge de la Terre était on ne peut plus mal connu; on s'accrochait à l'âge de 100 Ma que Lord Kelvin avait « calculé » en 1866. Cet irlandais s'est donc dit, à partir d'une vieille idée d'un astronome britannique (Sir Edmund Halley) du début du 18ème siècle, que si l'océan avait commencé à se « saler » au début de l'histoire de la Terre, il ne s'agissait que de diviser le volume total des sels de l'océan actuel par le volume apporté chaque année par les rivières pour connaître le nombre d'années qu'il a fallu pour apporter tout ce sel, donc l'âge de la Terre. Ses calculs l'ont amené à proposer un âge se situant entre 80 et 89 millions d'années, un âge plutôt « conservateur » par rapport à l'âge de 4,55 milliards d'années (4550 millions d'années) que l'on a déterminé par la méthode radiométrique. En fait, si on reprenait les calculs de Joly avec les valeurs des volumes que l'on évalue beaucoup mieux aujourd'hui, on arriverait à un âge de ... 13 millions d'années!
Alors, force est de conclure que l'océan se débarasse annuellement d'une quantité de sel égale à celle que lui apportent les cours d'eau. Il faut donc des puits de sel.
Voici deux ouvrages de vulgarisation très intéressants et de lecture facile:
DUPLESSY, J.-C. et MOREL, P., 1990, Gros temps sur la Planète. Éditions Odile Jacob-Points, Paris, 337p.
DUPLESSY, J.-C., 1996, Quand l'océan se fâche, histoire naturelle du climat. Éditions Odile Jacob, Paris, 277p. La suite du précédent; excellent.
Pour aller plus à fond, un ouvrage académique:
ALLEN, P.A., 1997, Earth Surface Processes. Blackwell Science, 404p.
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