L'histoire du Quaternaire au Québec, comme pour tout le Canada et tout le Nord des U.S.A., est entièrement dominée par les grandes glaciations du Pléistocène. Nous avons traité de ce sujet dans la section 3, à la rubrique 3.1.2 - Le rabotage par les glaces.
Ce qui suit est, en grande partie, la reprise d'une partie de cette rubrique à l'intérieur de laquelle on retrouve l'histoire glaciaire du Québec.
Le Grand Âge Glaciaire en Amérique
Présentement, il n'y a pas de glaces persistantes sur le continent nord américain proprement dit, si ce n'est une toute petite calotte alpine, la calotte de Colombia (Colombia Icefield) dans les Rocheuses canadiennes, à mi-chemin entre Jasper et Lac Louise. La seule grande masse glaciaire de l'hémisphère nord se situe au Groenland. Au total on évalue que les deux calottes polaires, celles du Groenland et de l'Antarctique, couvrent environ 10% de la superficie des masses continentales et emmagasinent 2% de l'hydrosphère.
Mais il n'en était pas ainsi durant les deux derniers millions d'années (2 Ma) qui sont connus comme le Grand Age Glaciaire. Cette époque fut marquée par des conditions climatiques changeantes qui ont conduit à une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. En Amérique du Nord, on reconnaît quatre périodes distinctes de glaciation, chacune portant un nom, tout comme les stades interglaciaires les séparant. Ces périodes ont leur pendant en Eurasie où elles portent des noms différents.
Le Grand Âge Glaciaire ne s'est terminé qu'il y a à peine 6000 ans. Plus près de nous, on parle du Petit Âge Glaciaire qui couvre, en gros, la période qui va du milieu du 16° au milieu du 19° siècle.
Cette succession de période d'englaciations (glaciaires) et de fontes (interglaciaires) fait en sorte que les dépôts les plus anciens sont remobilisés par les glaciations plus récentes. C'est pourquoi la glaciation wisconsinienne nous est la mieux connue. En fait, au Canada, seuls la glaciation wisconsinienne, l'interglaciaire sangamonien et une partie de la glaciation illinoienne nous sont connus. Voici le tableau des âges de cette période.
On a évalué que la glace couvrait par moments jusqu'à 30 % de la superficie des continents durant le Grand Âge Glaciaire. Une grande partie de l'Amérique du Nord a été périodiquement recouverte par une immense masse de glace qui, à certaines époques, s'est étendue jusqu'au sud des Grands Lacs actuels comme le montre cette carte de la distribution des glaces au Wisconsinien.
Au Wisconsinien (période qui s'étend de -80 à -6 Ka), la grande calotte polaire se divise en quatre inlandsis (inlandsis : épaisses couches de glace couvrant des surfaces continentales importantes près des pôles) : l'inlandsis de la Cordillère, l'inlandsis Innuitien, l'inlandsis du Groenland, et le grand inlandsis Laurentidien. Chez ce dernier, on distingue trois centres d'écoulement des glaces : centres du Labrador, du Keewatin et de Baffin. On a évalué des épaisseurs de glace allant jusqu'à 5 000 m à la hauteur de la Baie d'Hudson. Il existait un étroit passage libre de glace entre les inlandsis de la Cordillère et Laurentidien, et c'est sans doute ce passage qu'ont utilisé les premiers hommes venus de l'Asie pour peupler le continent américain (autour d'il y a 12 000 ans). A l'époque, le continent asiatique (Russie) était relié à l'Amérique au niveau de ce qui est aujourd'hui le détroit de Bering, du fait que le niveau des mers était beaucoup plus bas qu'aujourd'hui à cause du stockage des eaux dans les inlandsis.
L'accumulation des glaces ne causent pas que des surchages et des dépressions importantes à la croûte terrestre. L'alternance des périodes d'englaciations et de fontes causent des fluctuations du niveau des mers. En effet, le stockage des eaux terrestres dans les glaces polaires entraîne un abaissement du niveau marin, alors que la fonte des calottes polaires s'accompagne d'une remontée de ce niveau. Par exemple, on note des abaissements allant jusqu'à 130 m plus bas que le niveau actuel à certaines périodes du Wisconsinien. Les glaces du Wisconsinien se sont retirées il y a à peine une dizaine de milliers d'années et nous vivons actuellement dans une période post-glaciaire avec un haut niveau marin. Elles ont laissé derrière elles, les Grands Lacs nord-américains et le fleuve St-Laurent.
Le retrait des glaces wisconsiniennes, la formation des Grands Lacs, la Mer de Champlain, et le fleuve Saint-Laurent. |
Les moraines frontales : jalons du retrait des glaces
C'est par la cartographie des moraines frontales et leur datation qu'on parvient à retracer l'histoire du retrait des glaces. Rappelons ce qu'est une moraine frontale : il s'agit d'un dépôt formé au front du glacier, quand le glacier a atteint son avancé maximum et qu'il est stationnaire, par l'amoncellement des fragments rocheux de toutes tailles arrachés au substrat par le glacier, ainsi que des sédiments produits par l'abrasion de la glace sur la roche.
Le retrait du front glaciaire ne se fait pas de façon continue et uniforme; il y aura des pauses au cours desquelles s'accumuleront des moraines frontales.
La carte qui suit montre les principales moraines au Québec qui ont servi à reconstruire l'histoire du retrait du dernier front glaciaire.Remarquez les âges décroissants du sud-ouest vers le nord-ouest, en années 14C non étalonnées (voir 4.1.2).
L'ajustement isostatique subséquent au Grand Age Glaciaire
Le poids des glaces de l'inlandsis Laurentidien a fortement déprimé le bouclier précambrien. Depuis la fonte de l'inlandsis, il se produit une remontée du bouclier due à l'ajustement isostatique.
Les courbes de niveau en bleu sur la carte ci-dessus indiquent les taux de remontée de la lithosphère continentale depuis la dernière période glaciaire, taux indiqués en mm/an. Au centre du bouclier canadien, on a des taux qui atteignent les 10 mm (1 cm) annuellement. S'il y a remontée sur l'ensemble du bouclier, à l'autre extrême il y a, en réaction, un enfoncement au pourtour du bouclier (centre des USA et côtes de la Nouvelle-Angleterre), avec des valeurs de -2 mm/année (courbes vertes).
Dans la vallée du St-Laurent, le taux de remontée est de 2 mm/ an, mais il a été beaucoup plus important dans le passé comme le montrent ces deux courbes d'émersion de la côte sud du Saint-Laurent.
Ces courbes ont été construites en utilisant l'altitude à laquelle se trouve des dépôts marins ou estuariens par rapport au niveau marin actuel (en mètres, sur l'axe vertical) et l'âge de ces mêmes dépôts (en milliers d'année, sur l'axe horizontal). Si, par exemple, un dépôt marin datant d'il y a 12 000 ans se retrouve actuellement sur une terrasse à 125 m au-dessus du niveau de la mer (courbe de Lortie et Guilbault, 1984), on déduit qu'il y a eu une émersion de 125 m durant les derniers 12 000 ans. Si des dépôts marins vieux de 9 000 ans se trouvent présentement à une altitude de 20 m (courbe de Dionne, 1988), on en déduit que durant la période entre 12 000 et 9 000 ans, il y a eu une émersion de 125 - 20 = 105 m. Durant la période entre 12 000 et 9 000 ans, on a évalué un taux d'émersion de 2,8 cm/an. Il faut bien voir ici que cette courbe est une courbe d'émersion et non de remontée isostatique, car il faut en plus tenir compte de la montée du niveau des mers reliée à la fonte des glaces. Le taux de remontée isostatique sera donc supérieur aux taux d'émersion, soit égal à la montée du niveau des mers plus l'émersion.
Les argiles de la Mer de Champlain : des argiles sensibles
Un des héritages que nous a légué le Grand Age Glaciaire dans la vallée du Saint-Laurent et le Saguenay-Lac St-Jean est un risque naturel important : les glissements de terrain reliés aux argiles sensibles. En plusieurs endroits, la Mer de Champlain et le Golfe de Laflamme ont laissé d'épais dépôts de boues pouvant atteindre les 50 mètres d'épaisseur. Ces boues sont en fait une farine de roche produite par l'érosion glaciaire, composée à 80-90% de quartz et de feldspath, et à 10-20% de phyllosilicates (des argiles au sens minéralogique du terme). Cette farine de roche a été déposée dans un milieu marin (Mer de Champlain et Golfe de Laflamme), dans des eaux contenant 35 gr/l de sels. Ces sels agissaient comme liant dans le sédiment en développant des forces ioniques entre les particules de quartz et de feldspaths, ce qui contribuait à stabiliser le dépôt. Avec le retrait de la mer, les dépôts ont été traversés par les eaux douces des pluies qui ont lessivé les sels, détruisant par le fait même une grande partie de la cohésion du sédiment. La présence d'agents dispersifs, comme les acides organiques provenant de l'humus des sols, ont contribué aussi à affaiblir la cohésion du dépôt. Il en est résulté que l'équilibre de ces dépôts de boues de la Mer de Champlain et du Golfe de Laflamme est aujourd'hui précaire. Ces boues sont sensibles à la déstabilisation (de là leur nom "d'argiles sensibles", même si en fait il y a très peu d'argiles proprement dits), entre autres, par les séismes ou des activités anthropiques. Ce sont ces "argiles" qui ont été responsables des grands glissements de terrain qu'on a connus à Nicolet en 1955, à Yamaska en 1974 et à St-Jean-Vianny en 1971 où il y a eu 31 morts et des dégâts très importants.
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