3.4.13 - Que faire?


Nous vivons un réchauffement planétaire en grande partie causé par les activités anthropiques et tous les modèles prévoient une augmentation importante des températures, avec les conséquences dont nous avons discuté plus haut. L’activité anthropique prédominante ciblée est la combustion des hydrocarbures et des charbons qui contribuent à augmenter de façon importante les teneurs atmosphériques en CO2, un gaz à effet de serre. Nier cette évidence relève de l’ignorance ... ou de l’intérêt à le faire.

La question fondamentale qui se pose, c’est d’abord: devons-nous agir ou non? Les réponses ne font pas l’unanimité.

Scénario 1 : n’agissons pas!

Ces citations sont extraites d’un interview par Jean-François Bégin, publié dans l’Actualité (octobre, 2001), de Bjorn Lomborg, professeur de statistique au département de Sciences politiques de l’Université d’Aarhus, au Danemark, et auteur de « The Skeptical Environmentalist » (Cambridge University Press).

Il y a là de quoi hérisser le poil de l’individu soucieux de son environnement et celui de la Planète, n'est-ce pas? Elles ont cependant le mérite, ces citations, de mettre sur la table les véritables enjeux, la question fondamentale : pouvons-nous vivre avec un réchauffement de la Planète et ses conséquences. Le géologue historien de la Terre (que je suis) constatera qu’on ne connaît aucun exemple dans l’histoire géologique d’un réchauffement climatique planétaire qui aurait été préjudiciable à la Vie, mais que certains refroidissements par contre l’ont été (par exemple la grande extinction de la fin de l’Ordovicien). Mais, il y a une nouveauté ici: le rythme accéléré avec lequel nous réchauffons la planète n’a peut-être jamais été expérimenté dans le passé géologique; ce rythme risque peut-être de faire franchir un seuil qui amènera des perturbations imprévisibles, inconnues et irréversibles. Malgré tout, se pourrait-il que nous nous soyons lancés avec tellement d’enthousiasme et de conviction dans le « sauvetage » de la Planète que nous avons oublié de nous poser la question de base, soit le pourquoi de notre action?

Par contre, ces citations ont le démérite de conforter dans ses opinions la droite peu encline à se préoccuper de l’environnement, qui voit l’IPCC (GIEC) comme une sorte d’épouvantail et qui trouvera là un support à l’inaction et à la poursuite des émissions de gaz à effet de serre. Le rejet de Georges W. Bush du protocole de Kyoto et sa nouvelle politique énergétique centrée sur l’utilisation des combustibles fossiles en est un bon exemple. On pourrait aussi se demander si les milliards de dollars économisés seraient réellement utilisés pour régler les problèmes d’alimentation et de bien-être de l’humanité ou si ces argents ne retourneraient pas plutôt dans les goussets de ceux qui vont considérer avoir le plus contribué à réduire les émissions, soit les grands consommateurs d’énergie (industrie lourde, habitants des pays industrialisés).

Mais, si nous décidions de ne pas agir, il faudra bien nous assurer que nous, nos enfants et nos petits enfants pourrons vivre les conséquences d’un réchauffement planétaire. Pouvons-nous prendre ce risque?

Scénario 2 : agissons!

Plusieurs sont convaincus qu’il faut agir. La convention de Rio, le protocole de Montréal et ses accords subséquents, ainsi que le protocole de Kyoto sont de bons exemples d’actions entreprises par la communauté internationale. Après les émissions de CFC (protocole de Montréal), ce sont manifestement les réductions d’émissions de CO2 qui sont dans la mire des intervenants.

Les défenseurs du protocole de Kyoto ont crié victoire après la conférence de Bonn en juillet dernier (2001). On s’est réjoui du « sauvetage » du protocole. Les écologistes ont jubilé. Selon l'un d'entre eux, « c'est un accord historique et une grande victoire pour l'environnement » (Le Devoir, 24 juillet 2001). Le Canada serait sorti grand gagnant de l'opération. Il pourra soustraire de ses émissions de CO2 ce qu'il aura englouti dans des puits de carbone. La bonne affaire quoi! Planter un arbre délivrera un permis de pouvoir utiliser son gros 4x4 climatisé pour aller acheter ses cigarettes au dépanneur du coin. Allez donc comprendre ces écologistes qui juste avant la « rencontre secrète » de Montréal (30 mars 2001) dénonçaient ce projet de puits de carbone, accusant le Canada de faire « la sale job à la place des Américains » (Le Devoir, 26 mars 2001). Pourtant, comme il est dit plus haut, le protocole de Kyoto n’est qu’une goutte d’eau dans la grande marre des réductions qu’il serait nécessaire de mettre en place pour freiner le réchauffement, et on a peine à y adhérer.

Pour ma part, je doute qu’il y ait lieu de crier victoire. On aura sauvé une image, mais en pratique on s'est soumis aux impératifs des USA. George W. Bush se sentira plus à l'aise d'aller de l'avant avec sa politique énergétique fondée sur l'utilisation accélérée des combustibles fossiles: abandon des accords de Kyoto, augmentation de l'offre des hydrocarbures au détriment d'un contrôle de la demande, ouverture de l'exploration pétrolière et gazière et des forages dans un parc écologique de l'Alaska (Arctic National Wildlife Refuge), remise au goût du jour des centrales thermiques fonctionnant au charbon. On évalue que d'ici deux décennies la consommation de pétrole augmentera aux USA, de 45% et celle du gaz naturel de 50%. Georges W. trouvera bien une commission socio-economico-scientifique qui démontrera que les USA font plus que tout autre pays en enfouissant le CO2 dans des puits de carbone.

Le signal du départ de la course aux puits de carbone est donné. Chaque organisme gouvernemental, chaque entreprise de recherche, chaque chercheur universitaire tentera de se tailler une part du gâteau des subventions. Qui côtoie les milieux scientifiques américains sait bien que déjà les fonds sont presqu'illimités pour qui propose de trouver des puits de carbone, ce qui risque d’entraîner parfois des propositions les plus farfelues et sans fondement scientifique.

On a abondamment discuté des divers puits de carbone au point 3.4.2. Le moyen le plus immédiat de capter le carbone à une grande échelle, c'est de le stocker dans la matière organique dont la fabrication est reliée au cycle photosynthèse-respiration (cycle court). Donc de fabriquer de la matière organique. Simple! Plantons des arbres! Mais, en contrepartie, plus on produira de matière organique, plus il y aura production de CO2 par oxydation; le soi-disant puits de carbone risque de devenir un miroir aux alouettes. Car il s'agit là d'un puits à cycle très court. En effet, au delà de la démarche toute bucolique de planter un arbre, il faut savoir que les géochimistes ont démontré qu'une forêt à maturité consomme autant d'O2 qu'elle en produit et qu'en terme de puits de carbone, le bilan est nul, c’est-à-dire qu’il y a équilibre entre photosynthèse et respiration en terme d’échange de carbone. La grande forêt boréale canadienne ou russe en est un exemple. Une autre donnée importante à considérer est qu'une forêt ou une prairie en friche recèle dans son sol de 5 à 10 fois plus de carbone qu’un sol cultivé. C’est donc dire que la seule reforestation susceptible d’agir comme puits de carbone est celle qui remplacerait des sols cultivés. Est-on prêt à sacrifier des terres cultivées?

Il y a, à mon avis, un énorme risque que cette course aux puits de carbone devienne un faux-fuyant qui permettra aux pays industrialisés, dont le Canada, de soustraire de ses émissions de CO2 un volume jugé équivalent par des plantations de végétaux. Déjà, on a fait état, il y a quelques temps, de la volonté de l’Ontario de développer des forêts dans ... les Caraïbes et de considérer ceci comme sa contribution à la réduction des émissions de CO2.

Ne nous berçons pas d’illusions. À mon avis, il n’y a qu’une seule véritable solution pour réduire les émissions de CO2 et le réchauffement qu’elles entraînent: cesser de court-circuiter le cycle long du carbone en puisant dans les combustibles fossiles et en brûlant les calcaires (cimenteries), ce qui implique un changement drastique dans nos habitudes de vie. La recherche de divers puits de carbone appartenant au cycle court est certes louable en soi et ne doit pas être abandonnée, mais la somme de leur captage du CO2 demeurera bien en deça de la somme des émissions reliées à notre surconsommation des hydrocarbures et charbons qui eux appartiennent au cycle long. Il a fallu quelques 600 millions d'années pour constituer le stock de carbone des combustibles fossiles, nous prendrons quelques siècles pour les épuiser!

Le talon d'Achille de Kyoto

On vient d'adopter le protocole de Kyoto (février 2005). Évidemment, on ne peut qu'applaudir. Mais ..., car il y a un mais! Avec Kyoto, on a accepté le marché du carbone. Les grands consommateurs de pétrole et éventuellement de charbon, canadiens ou autres, pourront en quelque sorte acheter un permis de production de CO2. Il est vrai que, dans une perspective d'émissions de CO2 à l'échelle planétaire, la chose peut à la rigueur être défendable. Cependant, le problème est qu'on se concentre uniquement sur les émissions de CO2. On oublie de prendre en compte que la combustion des pétroles et des charbons émet avec le CO2, toute une panoplie de polluants qui contribuent, entre autres, à la production locale de smog (anhydride sulfureux, monoxyde de carbone, ozone, microparticules variées). L'Alberta pourra demain si elle le désire (et elle le désirera!) utiliser la combustion des charbons pour produire des pétroles à partir des sables bitumineux; elle n'aura qu'à acheter des permis. Nos voisins ontariens et américains pourront de la même façon produire leur électricité à partir du charbon, sans pour autant augmenter les émissions mondiales de CO2. Mais tout cela va contribuer à augmenter considérablement les émissions locales de polluants et par conséquent la production locale de smog, une situation qui est déjà responsable de milliers de décès annuellement. À la limite, on peut même concevoir que le Québec puisse devenir un vendeur de permis. Il n'en demeurera pas moins étouffé par le smog!


http://www.manicore.com/documentation/serre/modele.html
http://www.manicore.com/documentation/serre/confiance.html
Deux pages de l’excellent site de Jean-Marc Jancovici (voir Bibliographie) qui traitent beaucoup plus à fond le sujet des modèles climatiques et de leur fiabilité.

Bibliographie à la page suivante.


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