Lorsqu'on discute ou qu'on présente la venue des vertébrés sur la terre ferme, on laisse toujours entendre que le milieu terrestre, c'est-à-dire le milieu à l'air libre, était tout à fait dénudé de vie, que ces pauvres animaux sont arrivés dans un désert. Il n'en est pourtant rien.
Les premières formes de vie à coloniser les continents furent probablement les cyanobactéries; comme nous l'avons vu précédemment, ce sont des micro-organismes capables de résister aux rayons ultra-violets et qui sont apparus sur terre il y a au moins 2,8 milliards d'années. Ces cellules ont dû faire face à deux problèmes pour passer du milieu marin à la terre ferme: 1) l'eau douce qui tend à s'infiltrer dans la cellule et vient dissoudre les sels essentiels à sa survie; 2) la sécheresse qui risque de déshydrater la cellule. Il semble donc que les cyanobactéries aient réussi à résoudre ces problèmes puisqu'on trouve dans les sols précambriens, des taux anormalement élevés en carbone 12, indiquant la contribution des photosynthétiseurs à la fixation du carbone.
Les algues vertes, qui étaient déjà présentes dans le milieu marin depuis au moins le Cambrien, ont suivi à l'Ordovicien-Silurien. Elles ont procédé à l'implantation des végétaux terrestres en inventant deux mécanismes importants: les spores pour la reproduction et les racines pour l'alimentation.
Les premières formes de végétaux terrestres furent les bryophytes, des plantes qui restent au ras du sol, comme les mousses. On retrouve des spores de bryophytes dès la fin de l'Ordovicien. Puis, à la fin du Silurien, sont apparues les premières plantes vasculaires, c'est-à-dire des plantes munies de cellules capables de transporter l'eau.
Du côté animal, on a découvert des fossiles d'arthropodes ressemblant aux scorpions, associés à des plantes vasculaires dans des couches du Dévonien inférieur. Dans des couches à peine plus jeunes de quelques millions d'années, on a trouvé des arthropodes qui appartiennent au même groupe que les insectes et les myriapodes actuels.
Tout cela, plusieurs millions d'années avant que le premier vertébré amphibien viennent mettre le pied sur terre! En fait, on considère qu'à la fin du Dévonien, au moment de l'arrivée des amphibiens, un grand nombre d'invertébrés avaient déjà rejoint la terre ferme: escargots, insectes, araignées, scorpions.
En cette fin du Dévonien, les arbres étaient déjà présents, mais c'est dans la seconde moitié du Carbonifère que la grande forêt de type équatorial s'est développée. Celle-ci devait ressembler à cette illustration.
Il y avait de grands arbres à écailles, Lepidodendron (1), à très haut port; on connaît des troncs fossiles qui atteignent 35 m de longueur et on estime la hauteur totale de l'arbre à plus de 40 m. Il y avait aussi un grand arbre columnaire, Sigillaria (2), mesurant 30 m et plus, terminé par des bouquets de longues feuilles d'un mètre. Puis Cordaites (3), un autre grand arbre de 30 m, élancé, avec un tronc de 60 cm de diamètre et de longues feuilles. Calamites (4), plante arborescente ou semi-arborescente, croissant en bordure des plans d'eau, formant un axe dressé de 15 à 20 m, une sorte de prêle géante. Finalement, un arbre-fougère (5) pouvant atteindre les 20 m de hauteur, avec un tronc de 60 cm de diamètre.
Cette grande forêt a certes contribué à une augmentation du niveau d'oxygène de l'atmosphère terrestre au Carbonifère (voir oxygénation de l'atmosphère terrestre), mais elle a surtout contribué à accumuler d'énormes quantités de charbon, de là le nom de cette période du Carbonifère. Par la suite, on n'a jamais connu d'accumulations aussi importantes de charbon. Cela tient fort probablement au fait que les spécialistes de la transformation des végétaux nouvellement arrivé sur terre, c'est-à-dire les bonnes bactéries, n'étaient pas encore nés.
Mais revenons à nos vertébrés marins en mal de quitter la mer. On peut se demander: pourquoi ont-ils voulu coloniser le milieu terrestre? On pourrait toujours avancer que la compétition devenait difficile en milieu marin, mais on peut aussi supposer que le simple fait de vouloir profiter de ressources immenses inexploitées offrait un attrait certain. Non seulement des ressources alimentaires, mais des ressources en oxygène, l'air étant évidemment beaucoup plus riche que l'eau en cette ressource. Mais nous sommes là en terrain tout à fait spéculatif.
Ces vertébrés marins qui veulent quitter l'eau pour la terre ont à résoudre un certain nombre de problèmes. Un de ces problèmes, et non le moindre, c'est la pesanteur. Ceux qui ont fait de la plongée sous-marine en scaphandre autonome (SCUBA) connaissent bien cette sensation de la quasi apesanteur, cette grande liberté de mouvement que procure le support de l'eau. Chez les poissons, la colonne vertébrale est adaptée à la nage, principalement, aux mouvement latéraux ondulatoires. Chez les amphibiens, cette colonne doit s'adapter pour soutenir le poids des viscères, une force dirigée vers le bas. De nouveaux muscles doivent donc se développer pour répondre aux nouvelles conditions.
La locomotion constitue un second problème de taille pour les nouveaux habitants de la terre ferme. Les nageoires du poisson sont conçues pour un mouvement bien particulier, la natation, un mouvement bien différent de la marche. À ce titre, un poisson du nom d'Eusthenopteron, un des joyaux de la faune à poisson du site de Miguasha en Gaspésie (on l'a baptisé le prince de Miguasha), est vu comme un des chaînons évolutifs très important entre poissons et tétrapodes primitifs (animaux à quatre pattes). Ses nageoires montrent un arrangement des os qui préfigure l'arrangement des os des pattes des tétrapodes. Un autre poisson du site de Miguasha (site d'âge Dévonien supérieur, autour de -370 Ma), Elpistostege, est considéré comme étant encore plus près du premier tétrapode.
Un troisième problème auquel ont dû faire face les nouveaux candidats à la vie sur la terre ferme est le désèchement, un problème qu'ils n'ont résolu que partiellement; les premiers amphibiens sont demeurés cantonnés près de l'eau.
Un quatrième problème touchait le mode de reproduction. Les poissons pondent leurs oeufs dans l'eau. Les premiers amphibiens n'ont pas résolu ce problème; ils ont continué à en faire autant. Ils demeuraient donc dépendant de l'eau à ce point de vue. Il faudra attendre les reptiles pour se libérer de cette contrainte.
Un dernier problème que les amphibiens semblent avoir réglé relativement facilement, c'est l'utilisation de l'oxygène à partir de l'air plutôt que de l'eau.
En somme, on peut dire que les amphibiens ont réussi à mettre au point toutes sortes d'innovations "technologiques" dans le domaine du transport des charges et de la mécanique du mouvement, innovations qui leur ont permis de se tenir debout et de se déplacer sur terre. Par contre, ils sont restés tributaires de l'eau, entre autres pour la reproduction.
Ce qui a permis aux nouveaux habitants terrestres de s'affranchir de l'eau et finalement d'aller coloniser l'intérieur des terres, c'est l'invention de l'oeuf amniotique, l'oeuf qui possède une coquille semi-perméable qui enveloppe les réserves alimentaires permettant à l'embryon de se développer dans un endroit sûr et bien protégé. Cette invention est le fait des reptiles qui très rapidement ont dominé les milieux terrestres.
Selon les archives paléontologiques, les premiers reptiles dateraient du début du Carbonifère. On saute ici des étapes, mais disons que ces premiers reptiles, qui étaient relativement petits, ont donné naissance aux grands sauriens, ces fameux dinosaures, qui ont dominé l'ère Mésozoïque, surtout durant les périodes Jurassique et Crétacé. Puis, à la fin du Crétacé, ces grandes bêtes furent terrassées; elles furent complètement éliminées de la carte. Et c'est grâce à cette décimation que les mammifères, tous petits jusque là, ont connu un essor fabuleux qui les a amené là où ils sont aujourd'hui, incluant une espèce parmi les autres, l'Homo sapiens.
Mais qui a bien pu tuer les dinosaures? La réponse à la rubrique suivante ...
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