La biodiversité de l'écosystème récifal



Durant toute la période qui va du début du Cambrien, c'est-à-dire du Big Bang jusqu'à la fin du Dévonien, la vie était principalement (mais pas exclusivement) confinée aux mers. Cette vie s'organisait. Il y eut prolifération de genres et d'espèces à l'intérieur des embranchements établis, mais pas de nouveaux plans de vie, sauf l'apparition des bryozoaires à l'Ordovicien.

Il y eut de beaux succès. Par exemple, c'est durant cette période que vont se diversifier les chordés, notre embranchement, avec entre autres, les poissons.

La vie marine benthique, c'est-à-dire celle qui vit sur le fond des mers, était constituée d'une variété d'organismes à coquillage, comme les brachiopodes qui formaient des communautés diversifiées se répartissant selon la profondeur d'eau et le type de substrat sur lequel ils vivaient. Les mollusques, moules, palourdes, colimaçons, abondaient dans diverses zones écologiques. Il y avait aussi les trilobites qui vivaient dans la vase et qui seront pratiquement décimés à la fin du Dévonien; un seul petit groupe survivra jusqu'à la fin du Permien, où il sera alors complètement effacé de la planète. Les échinodermes, avec principalement les lys de mer qui ont formé par endroits de véritables prairies sous-marines. Les éponges ont réussi très tôt, dès le début du Cambrien, à construire de grands monticules organiques, probablement en association avec des communautés de bactéries.

Quelques fossiles d'organismes benthiques marins

Dès la toute fin de l'Ordovicien-début du Silurien, l'écosystème récifal dont on a discuté au chapitre sur les océans (voir La Vie dans les océans) était implanté. On y a vu que cet écosystème est responsable pour l'édification de grandes barrières récifales à la marge des plateaux continentaux ou encore des atolls comme ceux du Pacifique.

Voyons d'un peu plus près de quoi il s'agit.

Le récif corallien : un écosystème des plus réussis

Par définition, un récif est un rocher ou groupe de rochers à fleur d'eau, généralement au voisinage des côtes; il constitue souvent un écueil à la navigation. On le dit corallien lorsqu'il a été construit par les coraux. Les coraux sont les grands bâtisseurs des récifs actuels, assurant la charpente de ces mégapoles des mers. Présenter le récif corallien comme une mégapole, c'est vouloir insister sur l'interaction qu'il y a entre les membres de toute une troupe d'acteurs, chacun jouant un rôle essentiel au fonctionnement de l'écosystème. Avec les bâtisseurs de condominiums coralliens, il y a toute une cohorte d'organismes: algues calcaires encroûtantes qui solidifient la structure, éponges qui font office d'usines de purification des eaux, grands nettoyeurs que sont les poissons, les oursins et les mollusques de toutes sortes, photosynthétiseurs microbiens et algaires qui favorisent la précipitation chimique du carbonate de calcium, producteurs de sédiments (algues calcaires, coquillages de toutes sortes) qui contribuent à remblayer la structure et ainsi la solidifier, lui permettant de résister à l'énergie des vagues. Mais il y a aussi ceux qui contribuent à détruire l'édifice: corrodeurs lithophages, poissons friands de coraux, certaines éponges perforantes, ainsi que la grande ennemie des coraux, l'étoile de mer Acanthaster, ... et l'Homme.

La charpente corallienne engendre une infinité de niches écologiques procurant un habitat à des dizaines de milliers d'espèces de plantes et d'animaux, ce qui contribue à la singularité de cet écosystème et à sa biodiversité très élevée. Tout comme on considère la grande forêt équatoriale comme l'un des principaux dépositaires de la biodiversité terrestre actuelle, on peut dire que le récif corallien est le principal dépositaire de la biodiversité marine. L'écosystème récifal fut aussi l'un des grands creusets de l'évolution des espèces marines à diverses époques géologiques.

Les coraux et leurs alliés construisent des récifs qui prennent diverses formes: atolls encerclant les îles du Pacifique, récifs frangeants du Yucatan et des Caraïbes, grandes barrières à la marge des plateaux continentaux, telles la barrière de Bélize dans la mer des Caraïbes, qui s'étend sur près de 300 kilomètres et, le joyau, la Grande Barrière d'Australie qui s'étire sur plus de 2000 kilomètres. Ces barrières jouent un rôle important de protection des côtes contre les effets des ouragans.

Un écosystème ancien

L'écosystème récifal n'est pas neuf. L'interrogation des archives paléontologiques nous apprend que les premières constructions assimilables à des récifs sont apparues il y a environ deux milliards et demi d'années (2,5 Ga), au début de la période protérozoïque (schéma ci-dessous), mais que ces récifs n'avaient rien de la biodiversité actuelle : ils n'étaient que des amas de stromatolites, des structures construites par les bactéries et les algues, car, comme on l'a vu, les organismes multicellulaires n'étaient pas encore apparus à la surface de la Terre.

Il aura fallu attendre la fin de la période ordovicienne (autour de 450 Ma), et surtout les temps siluriens et dévoniens (entre 410 et 360 Ma), pour voir apparaître une communauté récifale présentant une diversité approchant celle que nous connaissons aujourd'hui. Au Silurien, en particulier, l'écosystème récifal se présentait comme le grand dépositaire de la biodiversité planétaire. En effet, la biodiversité des milieux terrestres y était très faible, infime par rapport à ce que l'on connaît aujourd'hui; les plantes primitives commencaient à peine à coloniser les terres et le monde animal terrestre se résumait à quelques insectes, scorpions et mollusques.

A cette époque, les grands bâtisseurs n'étaient pas les coraux, mais un groupe d'organismes aujourd'hui éteints, les stromatoporoïdés, sortes d'éponges au squelette massivement calcifié et à formes de croissance variées.

Les stromatoporoïdés en images

Il y avait bien des coraux, mais ils y jouaient un rôle secondaire. Il n'appartenaient pas au même groupe que les coraux modernes (les Scléractinia) qui ont des symbiotes algaires, mais à deux autres groupes aujourd'hui disparus et dont on connaît mal l'affinité biologique et l'écologie: les Rugosa et les Tabulata

Les Rugosa et les Tabulata en images

Par la suite, la communauté récifale a connu des succès et des insuccès. Ainsi, elle fut décimée à la fin du Dévonien (360 Ma) lors d'une extinction qui a emporté plus de 65% de toutes les espèces des terres et des mers. Elle est réapparue à la période triassique (autour de 230 Ma), cette fois avec des coraux comme ceux que l'on connaît aujourd'hui, mais fut décimée à nouveau au début du Crétacé (140 Ma) pour une raison que nous comprenons encore mal. Finalement, la communauté récifale telle que nous la connaissons aujourd'hui est réapparue il y a à peine une cinquantaine de millions d'années.

Sur le plan plus large de l'évolution, on a ici un exemple, non pas d'un plan de vie, mais d'un écosystème qui existe depuis longtemps et qui n'a pas subi de modifications fondamentales depuis son apparition, sauf une permutation au niveau des groupes d'organismes.
 Un écosystème fragilisé
Le Québec aussi a connu sa grande barrière récifale.

On l'a vu, la tectonique des plaques fait bouger les continents à la surface de la planète. Il y a quelques 420 Ma, à la fin du Silurien, le Québec n'occupait pas la position géographique nordique qu'il occupe aujourd'hui, mais se trouvait dans la zone tropicale, au sud de l'équateur.

Les eaux qui baignaient les côtes de l'ancien continent Laurentia, ce continent formé en grande partie du bouclier canadien, étaient chaudes. Une longue barrière récifale de quelques 1000 kilomètres bordait la marge du plateau continental de l'époque. Les forces tectoniques qui ont déformé la croûte terrestre et conduit à la formation des Appalaches québécoises il y a quelques 380 Ma ont exhumé des parties de cette grande barrière silurienne, par exemple, le long de la côte de la Baie des Chaleurs, au nord de Murdochville, dans la région du Lac Témiscouata, au sud de Rimouski et dans les Cantons de l'Est.

La barrière a été construite par les stromatoporoïdés, aidés des coraux anciens, des éponges et d'encroûtements bactériens qui se calcifiaient rapidement. Par endroits, les masses calcaires ainsi construites atteignent les 800 mètres d'épaisseur. En plus de présenter un intérêt scientifique certain pour ceux qui cherchent à comprendre la vie passée et son évolution, elles offrent un potentiel économique non négligeable, entre autres, comme réservoirs potentiels pour les hydrocarbures, comme pierre ornementale (marbre) ou comme matériaux calcaires de base.
 Pourquoi les pétroliers s'intéressent-ils tant aux récifs gaspésiens?


http://www.uni-stuttgart.de/UNIuser/igps/edu/JRP/JRP_english1.html Jurassic Reef Park: très bien, avec photos de récifs actuels et ses organismes, et évidemment les récifs jurassiques.


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